5. Les autres genres narratifs

5.1. La nouvelle

L'évolution de la nouvelle peut être divisée en quatre étapes historiques distinctes :

- **Moyen Âge** : L'acte de naissance de la nouvelle en France est attribué aux _Cent Nouvelles Nouvelles_ (1462), qui s'inspirent du modèle italien du _Décaméron_ de Boccace (1350). À cette époque, la nouvelle est influencée par les genres médiévaux comme les lais et les fabliaux, avec une tonalité souvent grivoise. Elle doit respecter un format limité et se caractérise par un ton joyeux. L'apogée de cette période est l'_Heptaméron_ de Marguerite de Navarre (1540-1547), une œuvre marquant la transition vers la Renaissance.

- **Renaissance** : Au XVIe siècle, la nouvelle prend de l'ampleur alors que le roman a du mal à s'imposer. La veine grivoise persiste, mais elle commence à être contrebalancée par des thèmes plus nobles, influencés par les courants humanistes et l'éthique religieuse. Des auteurs comme Guillaume Bouchet, Boaistuau, et Tahureau marquent cette période où la nouvelle s'affirme comme un genre littéraire distinct.

- **Âge classique** : À cette étape, des écrivains de renom s'intéressent au récit bref, souvent pour contrer la tendance à l'allongement des romans. L'influence italienne cède la place à un modèle espagnol, avec Cervantès et ses _Nouvelles exemplaires_ (1613). Des auteurs comme Sorel (_Les Nouvelles françaises_, 1623), Segrais (_Les Nouvelles française ou les Divertissements de la princesse Amélie_, 1656), et Donneau de Visé contribuent au développement d'un genre devenu galant et raffiné. Des autrices comme Mme de Villedieu et Mme de Lafayette s'approprient également ce format. Toutefois, la distinction entre roman et nouvelle devient floue, et des œuvres comme _La Princesse de Clèves_ sont parfois considérées comme des nouvelles. Parallèlement, le conte gagne en popularité.

- **Époque moderne** : Après une éclipse relative au XVIIIe siècle, la nouvelle connaît un regain d'intérêt au XIXe siècle, avec des auteurs comme Balzac, Nerval, Mérimée, Gautier, Zola, Maupassant, Daudet, et Villiers de L'Isle Adam. Cette période fixe le genre en absorbant les anciennes distinctions comme le conte ou le récit. Le XXe siècle prolonge cette tendance avec une nouveauté : l'intégration de la notion de "recueil", qui crée une cohérence entre différentes histoires. Cependant, le public moderne semble moins friand de nouvelles, sauf pour des auteurs étrangers tels que Buzzati, Borges, et Cortázar.

La caractérisation de la nouvelle repose sur plusieurs éléments distinctifs, malgré sa brièveté. L'impératif de densité, bien que crucial, ne suffit pas à la définir de manière exhaustive, car d'autres formes littéraires brèves existent. Voici cinq caractéristiques majeures qui différencient la nouvelle des autres genres :

- **Nouveauté** : La nouvelle tire son nom du fait qu'elle raconte une histoire récente ou contemporaine. Le titre pléonastique _Cent Nouvelles Nouvelles_ (1455) souligne ce point, distinguant la nouvelle du conte, qui peut traiter d'événements plus anciens ou imaginaires.

- **Unité d'action** : La nouvelle se concentre sur un événement spécifique ou un petit nombre d'événements liés, offrant une unité d'action. La narration tourne généralement autour d'un seul point central. L'argument peut souvent être résumé en une phrase succincte, comme dans _Matéo Falcone_ de Mérimée : "En Corse, un enfant qui a trahi un secret est exécuté par son père." Cette unité favorise une lecture d'une seule traite, créant un impact émotionnel fort. Baudelaire et Gide ont insisté sur cet aspect de la nouvelle, soulignant qu'elle est conçue pour être lue en une seule fois.

- Narration monodique : La nouvelle privilégie généralement un seul narrateur, qui guide le lecteur du début à la fin de l'histoire. Cette simplicité narrative peut être déclinée sous diverses formes, comme un auteur racontant une histoire reçue par lettre ou retranscrivant le contenu d'un rêve. Les récits encadrés comme _Les Mille et Une Nuits_ ou _L'Heptaméron_ utilisent cette structure d'enchâssement pour raconter plusieurs histoires au sein d'une même trame.

- Économie de moyens : La nouvelle exclut souvent les descriptions détaillées ou les portraits étendus. Elle opte pour une approche concise, se concentrant sur les éléments essentiels de l'histoire. Les préparatifs et les introductions sont réduits ou supprimés, et le récit commence souvent _in medias res_, avançant rapidement vers la crise et le dénouement. Cette économie de moyens contribue à la densité et à l'intensité de la narration.

- Effet de surprise : La nouvelle cultive souvent un effet de surprise ou de révélation, qui se manifeste généralement dans le dénouement ou l'épilogue. Cette caractéristique contribue à l'impact émotionnel et à l'effet de circularité, où le récit forme un univers clos, autonome, qui se termine de manière complète et satisfaisante.

Ainsi, bien que la nouvelle soit définie par sa brièveté, ces caractéristiques la distinguent clairement d'autres formes narratives, établissant un genre à part entière avec ses propres règles et esthétiques.

L'ambition de vérité : à la différence du conte, dont il sera question plus loin, la nouvelle donne une vision du monde présentée comme fidèle. Étiemble, réfléchissant au rapport entre nouvelle et société

La signification intertextuelle : Elle fait référence à la façon dont un texte ou un récit peut interagir avec d'autres, créant un ensemble de significations qui vont au-delà de l'histoire individuelle. Dans le contexte des nouvelles et des recueils, cette notion prend une importance particulière, car les nouvelles sont souvent publiées en tant qu'ensembles, créant des liens ou des échos entre elles. Voici comment cette intertextualité fonctionne pour les nouvelles et les recueils :

- **L'Autonomie du Récit Bref** : Chaque nouvelle vise à être autonome, c'est-à-dire qu'elle doit raconter une histoire complète avec son propre début, milieu et fin. Cependant, pour être commercialement viable, ces récits brefs sont souvent regroupés en recueils, ce qui peut avoir un impact sur leur signification individuelle.

- **Le Recueil comme Unité** : Lorsque plusieurs nouvelles sont réunies dans un recueil, elles peuvent former un ensemble cohérent, que ce soit par thème, style, tonalité ou autres éléments communs. Les nouvelles de Maupassant, par exemple, peuvent être reliées par des thèmes de la société française du XIXe siècle, tandis que celles de Kafka peuvent avoir des éléments de surréalisme ou d'absurde.

- **La Réorganisation du Recueil** : L'ordre dans lequel les nouvelles apparaissent dans un recueil peut influencer la signification de chaque récit. Une réorganisation peut créer de nouvelles connexions entre les histoires, introduire des motifs récurrents ou modifier le contexte. Les éditeurs ou les auteurs eux-mêmes peuvent décider de l'ordre des nouvelles pour créer des transitions significatives ou des contrastes frappants.

- **Les Relations entre Nouvelles** : Les nouvelles dans un recueil peuvent établir des relations intertextuelles par le biais de thèmes, de personnages ou de lieux récurrents. Ces connexions peuvent enrichir l'expérience de lecture, offrant une vision plus large ou une compréhension approfondie des thèmes abordés.

Ainsi, la signification intertextuelle dans le contexte des nouvelles et des recueils met en lumière la manière dont les récits brefs, bien qu'autonomes, peuvent interagir pour créer des couches de signification supplémentaires. Les recueils de nouvelles, grâce à ces connexions subtiles ou explicites, deviennent des œuvres complexes où le tout est plus que la somme de ses parties.