4. Le roman et ses formes

Le roman, la forme littéraire dominante aujourd'hui, a des origines relativement récentes. Il se serait développé à partir de l'épopée et d'autres formes de récits primitifs, comme le souligne Pierre Chartier :

"Ce futur héritier, rejeton supposé et décrié de l’épopée, parent pauvre et cousin des autres genres, n’a pas eu d’existence légale, pas d’état civil pendant l'Antiquité. Pas de nom, pas d'existence ? ou au contraire une existence multiple, démultipliée."
 
(Introduction aux grandes théories du roman, Paris, Nathan, 2000, p. 21.)

Pierre Grimal, cité par le commentateur, remarque des éléments de ce qui pourrait être considéré comme des romans dans l'Odyssée, qu'il qualifie de "premier roman d'aventures", ainsi que dans les récits historiques d'Hérodote, qui ont une teinte romanesque, ou encore dans des œuvres mythologiques comme la Théogonie d'Hésiode, qui raconte de "belles histoires". Cependant, ces exemples sont davantage liés à une littérature narrative qui avait été formalisée par Aristote, plutôt qu'à un genre qui pourrait être considéré comme l'ancêtre du roman moderne. Dans l'Antiquité, on trouve des épopées, des récits de mythes, des œuvres hybrides incluant des dialogues (comme Le Satiricon de Pétrone), mais pas véritablement de romans au sens où nous l'entendons aujourd'hui.

Le terme "roman" apparaît au Moyen Âge, et désigne initialement un choix linguistique plutôt qu'un contenu particulier. La lingua romana désigne la langue parlée, vernaculaire, par opposition à la lingua latina, qui est la langue savante dans laquelle sont rédigées les œuvres sacrées. Le "roman" fait d'abord référence à une manière de s'exprimer, un "parler", qui se retrouve dans les langues dites "romanes", avant de désigner un type d'œuvre. Cette expression en langue vernaculaire était perçue comme moins noble, souvent traduite ou adaptée du latin, et ainsi, le roman, en tant que genre, avait une image dévalorisée. Cet héritage a continué à peser sur le roman jusqu'à l'époque des Lumières.

À ses débuts, le roman n'était pas une forme littéraire proprement dite. Les récits en langue romane étaient souvent écrits en vers, comme les poèmes hagiographiques (Vie de saint Alexis), les épopées écrites en laisses d’octosyllabes (La Chanson de Roland), ou encore les premiers récits de style "romanesque" comme Le Roman de Brut, Énéas, ou Le Roman de Troie. L'apparition de la prose n'a pas changé le caractère du "genre". Cependant, cette séparation de l'oralité a initié une nouvelle rhétorique, qui allait conduire au roman moderne : des situations plus quotidiennes, une recherche de vraisemblance, une focalisation sur l'individu plutôt que sur le collectif, une narration rapide et un goût pour l'amplification.

Malgré cette transition vers des formes plus modernes, le modèle épique n'a pas complètement disparu. Le glissement vers une représentation plus contemporaine et plus intime marque cependant le début d'une forme littéraire autonome. Les œuvres comme L'Astrée, l’Histoire comique de Francion, Clélie, Le Roman comique, ou encore La Princesse de Clèves, du début du XVIIe siècle, montrent l'émergence de ces nouvelles constructions romanesques qui se développent jusqu'à leur apogée à la fin du règne de Louis XIV, avant de connaître une domination écrasante dans les époques qui suivront.