2. L’épopée et le genre épique

Dans le chapitre V de sa "Poétique", Aristote analyse l'épopée, précisant qu'elle n'est pas structurellement distincte de la tragédie. Cependant, des différences subsistent, notamment en ce qui concerne le mode de récit et la contrainte temporelle :
"L’épopée est semblable à la tragédie en ce qu'elle imite des hommes nobles dans un récit versifié. Mais elle se distingue par son usage d'un seul mètre et son approche narrative. De plus, elles diffèrent par leur longueur : la tragédie cherche à se dérouler dans le temps d'une journée ou s'en rapproche, tandis que l'épopée n'a pas de limite temporelle." (Poétique, 1449b)
À partir de ces observations, on peut identifier les caractéristiques principales de l'épopée :
- Un niveau élevé ou un mode "supérieur", mettant en scène des personnages nobles, comme dans la tragédie.
- L'utilisation d'une versification régulière.
- Un format narratif où l'action est racontée plutôt que représentée.
- Une ampleur significative, avec une longue durée.
- Une liberté dans l'utilisation du temps.

Deux autres critères sont également mentionnés par Aristote :
- La pluralité d'actions : "Je qualifie d'agencement épique celui qui comporte plusieurs histoires" (1456a).
- L'utilisation de l'irrationnel : "L’épopée accepte davantage l'irrationnel car c'est un excellent moyen de susciter la surprise, d'autant plus que les personnages ne sont pas vus directement" (1460a).

L'origine du mot "épopée" apporte une première compréhension. Il provient du grec "épopoia", constitué de "épos" (signifiant "parole exprimée") et d'un dérivé de "poïen" (signifiant "faire" ou "créer"). En conséquence, on peut affirmer :
"L'épopée est la mise en forme d'une parole primordiale exprimée par les premiers poètes, qui raconte la genèse et révèle les vérités du monde."
(D. Madelénat, art. "Épopée", dans J.-P. de Beaumarchais, D. Couty, A. Rey [dir.], Dictionnaire des littératures de langue française.)

En tant que texte fondateur, l'épopée prend ses racines dans l'histoire d'une nation, souvent riche en mythes et légendes. Cependant, au fil du temps, cette narration s'est déplacée vers la légende et l'imaginaire merveilleux. Après Boileau, l'abbé Batteux, un théoricien du XVIIIe siècle, définit l'épopée comme un "récit poétique d'une action héroïque et merveilleuse", anticipant les définitions modernes comme celle du dictionnaire Robert :
"Long poème où le merveilleux se mêle au réel pour célébrer un héros ou un grand exploit."

Les exemples classiques d'épopées incluent l'"Iliade" et l'"Odyssée", mais aussi des œuvres plus anciennes comme "L'Épopée de Gilgamesh", qui relate les aventures du roi Gilgamesh, régnant sur la cité sumérienne d'Uruk (vers 1900-1600 av. J.-C.). Plus tard, au VIe siècle, apparaissent les épopées indiennes comme le "Mahâbhârata" (plus de 400 000 octosyllabes) et le "Râmâyana" (près de 100 000 vers). D'autres épopées suivent, venues d'Angleterre, d'Islande, d'Allemagne, ainsi que les grandes productions italiennes et portugaises, telles que "La Divine comédie" de Dante, "Le Roland Furieux" de l'Arioste, "La Jérusalem délivrée" du Tasse, et "Les Lusiades" de Camoëns.