6. Le drame

6.1. Le drame bourgeois du XVIIIe siècle

Au milieu du siècle des Lumières, une nouvelle forme théâtrale commence à émerger, influencée par les œuvres de Nivelle de La Chaussée et inspirée par des dramaturges étrangers tels que Calderón, Lope de Vega, Shakespeare et George Lillo. Diderot se positionne comme le premier à codifier ce "genre sérieux" dans ses *Entretiens avec Dorval sur Le Fils naturel* (1757). Ce nouveau genre se caractérise par plusieurs éléments :

- Un retour à des sujets contemporains
- Des personnages issus de la vie quotidienne
- Un réalisme dans les situations, incluant des « tableaux » vivants et des accessoires
- Un mélange des tons
- Une visée édifiante

Une réplique de Dorval illustre la flexibilité de ce nouveau genre : « Une pièce ne se renferme jamais à la rigueur dans un genre. Il n’y a point d'ouvrage dans les genres tragique ou comique où l’on ne trouvât des morceaux qui ne seraient point déplacés dans le genre sérieux ; et il y en aura réciproquement dans celui-ci, qui porteront l'empreinte de l'un et l'autre genre. »

Beaumarchais soutient également ce « nouveau genre », mettant en avant le plaisir des larmes, la leçon morale, la vérité des situations, tout en ajoutant des préoccupations politiques et sociales. Dans son *Essai sur le genre dramatique sérieux* (1767), il écrit des phrases devenues célèbres pour leur critique des thèmes classiques : « Que me font à moi, sujet paisible d'un État monarchique du XVIIIe siècle, les révolutions d'Athènes et de Rome ? Quel véritable intérêt puis-je prendre à la mort d'un tyran du Péloponnèse ? Au sacrifice d'une jeune princesse en Aulide ? »

Louis-Sébastien Mercier propose sa propre définition de cette nouvelle forme dramatique : « Le drame n'est point une action forcée extrême ; c'est un beau moment de la vie humaine, qui révèle l'intérieur d'une famille, où, sans négliger les grands traits, on réveille précisément les détails. » (*Du théâtre ou Nouvel essai sur l'art dramatique*, 1773).

Bien que ce style de théâtre ait eu un succès esthétique limité (à part les deux grandes comédies de Beaumarchais, la plupart des œuvres n'ont pas perduré), il a joué un rôle crucial en introduisant le mélange des tons, en s'intéressant au quotidien, et en mettant l'accent sur le spectacle. Cette approche a ouvert la voie au drame romantique et, plus tard, à l'émergence du théâtre moderne, contribuant à briser les règles strictes des genres traditionnels.