Le théâtre et le genre dramatique

الموقع: Plateforme pédagogique de l'Université Sétif2
المقرر: ET-HALLAL
كتاب: Le théâtre et le genre dramatique
طبع بواسطة: Visiteur anonyme
التاريخ: Sunday، 19 May 2024، 3:38 AM

1. Le genre dramatique

Revenons à Aristote et à son traité "Poétique". La distinction initiale repose sur une double binaire : elle oppose un mode de représentation "inférieur" à un mode "supérieur", et distingue ce qui relève du dramatique de ce qui relève du narratif. Gérard Genette a résumé le système des genres d'Aristote de la manière suivante :

Mode/ObjetMode DramatiqueMode Narratif
Supérieur Tragédie Épopée
Inférieur Comédie Parodie

(Source : Introduction à l'architexte, p. 100)

Cette classification présente l'avantage de distinguer deux modes de représentation :

  • Si un narrateur raconte l'action des personnages, on est dans le genre narratif.
  • Si les personnages parlent directement et miment l'action, on est dans le genre dramatique.

L'objectif d'Aristote est de décrire en détail la forme qu'il considère comme dominante, à savoir la tragédie, inversant ainsi la hiérarchie de Platon qui plaçait l'épopée (représentée par Homère) au sommet de la littérature. Même si les tendances contemporaines en matière de goûts et de production littéraire semblent favoriser le récit et le roman, donnant ainsi raison à l'auteur de "La République", il peut sembler naturel de commencer l'examen des formes littéraires par celle qui est la plus axée sur la mimésis, c'est-à-dire le théâtre.

2. Les critères du genre

L'idée que le théâtre n'est pas un genre littéraire, mais plutôt une pratique scénique, est au centre de la réflexion d'Anne Ubersfeld, une spécialiste du théâtre. Sa déclaration audacieuse dans "Lire le théâtre, t. II, L'École du spectateur", met en lumière une problématique persistante : la place du théâtre dans la littérature. Malgré cette ambiguïté, certains traits permettent de cerner le théâtre en tant que forme artistique. Analysons ces traits, parmi lesquels figurent l'énonciation, le rapport au temps, le langage dramatique et le personnage.

L'énonciation
La première caractéristique qui définit le genre dramatique, selon Aristote, est l'énonciation. Le théâtre, par opposition à la narration, repose sur des personnages qui agissent et parlent directement, créant une mimésis plus immédiate. Patrice Pavis note que le théâtre devient alors le genre le plus "objectif", où les personnages semblent s'exprimer par eux-mêmes sans l'intervention directe de l'auteur, sauf dans des cas exceptionnels comme les chœurs, les prologues ou les épilogues.

Le rapport au temps
Le théâtre est intrinsèquement lié à la temporalité de la représentation. Anne Ubersfeld souligne que le temps au théâtre est celui du "ici-maintenant" de la scène, coïncidant avec le moment vécu par le spectateur. L'action théâtrale se limite généralement au temps de la représentation, même si des récits internes peuvent élargir la temporalité. Il convient également de différencier le "temps dramatique", qui peut s'étendre sur une période plus longue, et le "temps scénique", qui correspond au temps réel de la représentation.

Le langage dramatique
Le théâtre utilise un langage composé de deux faces complémentaires : le texte dramatique et les effets scéniques. Le texte dramatique inclut les dialogues, les monologues et les didascalies. Les effets scéniques, tels que les décors, les costumes et les accessoires, ajoutent une dimension visuelle au texte. À mesure que le théâtre a évolué, l'importance de la mise en scène a augmenté, souvent jusqu'à rivaliser avec le texte lui-même. Antonin Artaud, par exemple, envisageait une théâtralité où la mise en scène et les signes priment sur les mots.

Le personnage
Le statut du personnage dans le théâtre a évolué au fil du temps. Pour Aristote, le personnage est un simple support de l'action, devant s'effacer devant celle-ci. Au cours de l'histoire, cette perspective a changé, certains dramaturges mettant l'accent sur la psychologie des personnages, comme Shakespeare ou Corneille. Cependant, le théâtre moderne tend à redonner au personnage sa fonction dramatique dans un système de conflit, comme le montre l'analyse "actantielle". Jean Rousset a mis en lumière la "structure du double registre", où le personnage s'adresse à un autre personnage tout en communiquant implicitement avec le public.

En définitive, le théâtre peut être perçu comme un art qui transcende le genre littéraire, combinant texte et représentation pour créer une expérience unique. Anne Ubersfeld résume bien cette complexité en décrivant le personnage comme un médiateur entre texte et représentation, où le spectateur investit sa propre interprétation. Cette richesse permet au théâtre de maintenir sa pertinence tout en évoluant avec le temps

3. Théâtre et théâtralité

La notion de « théâtralité » offre une perspective intéressante pour comprendre ce qui rend le théâtre unique parmi les formes d'art, et pour examiner les éléments distinctifs qui le séparent de la littérature traditionnelle. Voici quelques réflexions sur les critères qui pourraient contribuer à une délimitation précise du théâtre en tant que genre dramatique, en tenant compte de la notion de théâtralité.

Forme matérielle du texte théâtral

La structure du texte théâtral, avec ses divisions en actes, scènes et répliques, offre un cadre pour organiser l'action et les interactions entre les personnages. Les indications de parole et les didascalies permettent de guider la mise en scène. Ces éléments matériels aident à distinguer le théâtre d'autres formes de littérature écrite.

Rhétorique dramatique

La composition d'une pièce de théâtre repose souvent sur une structure narrative classique avec exposition, nœud, péripéties et dénouement. Cela crée un arc dramatique qui capte l'attention du public et guide le développement des personnages. La manière dont ces éléments sont orchestrés contribue à définir le genre dramatique.

Codes spécifiques

Le théâtre comporte des conventions qui le différencient des autres formes de littérature. Par exemple, la fiction, l'espace théâtral à trois murs, et la scène comme lieu de l'action sont des codes communs au théâtre. Ces conventions sont essentielles pour créer le contexte dans lequel l'action dramatique se déroule.

Conventions

Les conventions théâtrales, comme le respect des trois unités (temps, lieu, action) dans le théâtre classique, jouent un rôle clé dans la définition du genre dramatique. Ces conventions aident à établir des attentes chez le public et fournissent un cadre pour l'analyse critique du théâtre.

La théâtralité

La notion de théâtralité, popularisée par Roland Barthes, désigne ce qui est spécifiquement théâtral ou scénique dans une représentation ou un texte dramatique. Elle englobe plusieurs aspects :

  • Présence de signes spécifiques indépendants du texte : Ces signes peuvent être visuels, sonores ou gestuels, ajoutant une couche supplémentaire à la narration écrite.
  • Lieu particulier de représentation: Le théâtre se déroule dans un espace où les acteurs et les spectateurs sont séparés, mais en interaction. La scène et le théatron sont les lieux principaux où se déroule l'action et d'où elle est observée.
  • Texte dramatique chargé de situations conflictuelles : Les pièces de théâtre reposent souvent sur des conflits qui se transposent visuellement et soniquement, créant un spectacle vivant qui produit un effet sur le public.

Évolution du théâtre

Le théâtre a évolué au fil du temps, passant de cérémonies religieuses à une forme de littérature, puis à un spectacle. Cette transformation illustre la fluidité du théâtre en tant que forme d'art, capable de s'adapter à différentes époques et cultures.

En conclusion, la théâtralité offre une manière de comprendre la spécificité du théâtre, mettant en lumière les éléments uniques qui le distinguent des autres formes d'art. Elle souligne également le caractère vivant et dynamique du théâtre, capable de se transformer et de s'adapter tout en conservant son essence unique.

4. La tragédie

La tragédie occupe une place centrale dans le théâtre en raison de ses thèmes complexes, de ses structures narratives et de son héritage historique. Elle est l'une des formes fondamentales du théâtre, souvent associée à des histoires qui explorent les aspects sombres et sérieux de la condition humaine, y compris la souffrance, la destinée, et les dilemmes moraux. Examinons quelques caractéristiques clés de la tragédie qui la différencient des autres genres théâtraux :

Caractéristiques de la Tragédie

  1. Thèmes Sombres et Tragiques: La tragédie aborde des thèmes profonds et graves, tels que la mort, la perte, la culpabilité, la vengeance, le destin, et la fatalité. Ces thèmes provoquent une forte réponse émotionnelle chez le public.

  2. Personnages de Haut Rang: Traditionnellement, la tragédie met en scène des personnages de haute stature sociale ou morale, comme des rois, des héros, ou des figures épiques. Leurs chutes tragiques soulignent l'ampleur des enjeux.

  3. Conflit Moral ou Psychologique: Les personnages tragiques sont souvent confrontés à des dilemmes moraux ou psychologiques qui les poussent à prendre des décisions critiques. Ces décisions conduisent généralement à des conséquences dévastatrices.

  4. Structure Narrativa Clássica: La tragédie suit généralement un arc narratif classique, avec une exposition, un nœud, des péripéties, et un dénouement tragique. Cette structure contribue à intensifier le développement de l'intrigue.

  5. Catharsis: Selon Aristote, la tragédie vise à provoquer une catharsis, une libération émotionnelle chez le public à travers la peur et la pitié. En suivant les personnages dans leur chute tragique, le public traverse un voyage émotionnel qui purifie et soulage.

  6. Destin et Inévitabilité: La tragédie souvent implique des éléments de destin, où les personnages semblent impuissants face à des forces plus grandes qu'eux. Cela crée un sentiment d'inévitabilité, ajoutant au drame.

Différentiation par Rapport aux Autres Genres

La tragédie se distingue de la comédie, qui vise davantage à divertir et à faire rire, souvent avec des fins heureuses et des personnages ordinaires. La tragédie est également distincte du drame, qui peut englober des histoires sérieuses sans nécessairement aboutir à des conclusions tragiques.

Subdivisions et Évolution

Le concept de tragédie a évolué au fil du temps, avec des formes variées comme la tragédie classique (qui respecte les unités de temps, de lieu, et d'action), la tragédie shakespearienne (avec des structures plus flexibles et des mélanges de comédie et de drame), et la tragédie moderne (qui explore des thèmes et des formes plus contemporains)

4.1. La définition d’Aristote

"Dans un essai dédié à la question, Alain Couprie écrit que « aucun dramaturge français n’a tenté de donner une définition claire de la tragédie ». Pour éclaircir ce manque, il faut se tourner vers Aristote, qui fournit une explication précise : La tragédie, selon Aristote, est « l’imitation d’une action noble menée jusqu'à son terme et d'une certaine ampleur, utilisant un langage agrémenté de divers ornements, appliqués séparément selon les parties de l'œuvre ; elle se présente par le biais de personnages en action et non par narration, et cherche à susciter la pitié et la crainte pour accomplir une purification émotionnelle. » (Poétique, 1449b).

Ce texte fondateur met en lumière quelques principes essentiels :

  • La tragédie appartient au théâtre, centrée sur la mimésis (imitation directe par des personnages), opposée à la narration (diégésis), pour mettre en avant l'action.
  • L'action, basée sur le muthos (histoire), est « conduite jusqu'à sa fin », avec un dénouement souvent tragique (comme la mort) qui marque la résolution de la crise.
  • La tragédie joue un rôle libérateur par la « purgation » (catharsis), où le héros tragique, en comprenant son destin, quitte l'état de victime pour atteindre une connaissance qui libère les spectateurs de leurs passions destructrices, conduisant à une purification émotionnelle.
  • La tragédie opère dans le registre de la « noblesse », tant par ses thèmes (« action noble ») que par son langage (« agrémenté de divers ornements »), incluant rythme, mélodie et chant. La noblesse se reflète également dans ses personnages.

Le discours sur la tragédie ne s'arrête pas à cette définition. Dans la suite de son traité, Aristote décrit d'autres principes pour l'art de la tragédie :

  • La vraisemblance, qui exige que les événements suivent une logique cohérente, évitant les péripéties injustifiées.
  • La composition, qui suit des règles précises du début (nœud) à la fin (résolution).
  • La valeur exemplaire, qui évite de s’attarder sur des traits individuels pour privilégier un destin collectif. Aristote note : « Au lieu d'imiter des caractères à travers des personnes agissantes, les auteurs conçoivent les caractères par le biais de l'action. »

Jacqueline de Romilly, dans son livre sur la tragédie, souligne que l'invention de la tragédie est un grand honneur attribué aux Grecs. Cet art émerge à un moment de prospérité dans l'histoire d'Athènes : après la fin des guerres médiques, Athènes crée la Confédération de Délos en 478 av. J.-C., établissant un empire maritime, une prospérité économique et une hégémonie politique autour de la Méditerranée. Sous Périclès, en 441 av. J.-C., l’année de l’Antigone de Sophocle, on reconstruit l'Acropole, établissant les bases de la démocratie. Cependant, cette ère de prospérité connaît des revers, avec la guerre du Péloponnèse et la peste d’Athènes, qui mènent au déclin de la cité. Pourtant, c'est précisément pendant ces années de prospérité que le théâtre, et surtout la tragédie, prospèrent, sur une courte période d'environ quatre-vingts ans, grâce aux trois grands dramaturges : Eschyle, Sophocle, et Euripide

5. La comédie

L'auteur de la *Poétique*, en évoquant le théâtre comme un art de la mimésis, vise surtout à établir les règles du genre qu'il considère comme supérieur et, dans une certaine mesure, idéal : la tragédie. Les remarques relatives à la comédie (et dans une certaine mesure, à l'épopée) ne sont mentionnées que par rapport à ce genre dont *Œdipe Roi* de Sophocle est un parfait exemple.

Voici quelques-uns des critères établis par Aristote :
- **Le portrait du héros** : « L'une [la comédie] cherche à imiter des hommes moins vertueux, tandis que l'autre [la tragédie] présente des personnages plus vertueux que leurs contemporains » (1448a). Il ajoute également : « La comédie est une imitation d’hommes sans grande vertu » (ibid.).
- **Les sujets plus vulgaires** : la comédie a des racines populaires et dionysiaques, provenant de « ceux qui animaient les chants phalliques encore célébrés dans de nombreuses cités » (1449a).
- **Une fin heureuse** : « Dans la comédie, les personnages qui, dans le récit, étaient de grands ennemis, comme Oreste et Égisthe, finissent par se réconcilier, et personne n'est tué » (1453b).
- **Le ressort comique** : il est crucial pour la comédie et se manifeste principalement de deux manières : par la difformité, car « le comique provient d’un défaut ou d’une laideur qui n’entraînent ni douleur ni dommage ; par exemple, un masque comique peut être laid et difforme sans provoquer de souffrance » (1449a) ; et par le langage : « Si pour créer des effets comiques, on utilise intentionnellement des métaphores, des termes rares et des expressions délibérément déplacées, on obtient l'effet désiré » (1458b).

La comédie a émergé dans la Grèce antique en même temps que la tragédie, avec un représentant notable, Aristophane, qui aurait écrit quarante-quatre comédies (dont onze subsistent). Les règles de mise en scène sont assez proches de celles de la tragédie et, bien que les sujets soient traités de manière comique, ils peuvent aussi aborder des thèmes sérieux : la politique dans *Lysistrata* ou *La Paix*, la religion dans *Les Grenouilles* ou *Les Nuées*, la justice dans *Les Guêpes*. La comédie s'est poursuivie avec Ménandre, qui a influencé la tradition latine (Plaute, Térence). Horace, au Ier siècle av. J.-C., a repris le flambeau d'Aristote pour élaborer une théorie, en insistant sur les spécificités du genre :

« Une comédie ne doit pas être écrite en vers tragiques […].
Que chaque genre reste à sa place qui lui convient. » (*Art poétique*, trad. F. Maisonneuve, Paris, Les Belles Lettres.)

Boileau, dans un distique célèbre, reprend cette idée :
« Le comique, ennemi des soupirs et des pleurs,
N'admet point en ses vers de tragiques douleurs. » (*Art poétique*, chant III.)

5.1. Les règles de la comédie

La comédie, en mettant en scène des personnages ordinaires et des actions tirées de la vie quotidienne, en utilisant un langage imprégné de fantaisie, n'est pas restreinte par des lois rigides. Cette flexibilité se reflète même dans son nom, puisque le terme latin « comœdia » signifiait simplement « pièce de théâtre », et cette signification a perduré jusqu'au XVIe siècle. En 1694, le Dictionnaire de l'Académie définissait encore la comédie comme : « Un terme général désignant toute pièce de théâtre, comme la tragédie, la tragicomédie et la pastorale, ainsi que la comédie proprement dite. » De nos jours, le terme « comédien » fait référence à celui qui joue au théâtre, contrairement à « tragédien » (devenu désuet), qui se spécialise dans la tragédie, ou « acteur », qui a une signification plus large. Cette polysémie montre l'ambiguïté des définitions et souligne la difficulté à établir une esthétique de la comédie. Celle-ci suivrait, dans les grandes lignes, les principes d'Aristote et adopterait — comme nous le proposons ici — les principes énoncés par le plus grand auteur comique français, Molière. Selon lui, la comédie devrait : - **Choisir des personnages issus de la vie quotidienne** : « Comme le but de la comédie est de représenter tous les défauts des hommes, et surtout de ceux de notre époque » (*L'Impromptu de Versailles*). - **Rester fidèle à la nature** : « Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez. Mais lorsque vous peignez des hommes, il faut les peindre d'après nature » (*Critique de l'École des femmes*). - **Suivre le goût du public** : « Je fais suffisamment confiance aux décisions du grand public » (*Préface des Fâcheux*), et « Je voudrais savoir si la règle la plus importante n'est pas de plaire » (*Critique de l'École des femmes*). - **Amuser** : « Il faut plaisanter ; et c'est une tâche délicate de faire rire des gens respectables » (*Critique de l'École des femmes*). - **Dénoncer les vices** : « Il est très efficace de ridiculiser les vices en les exposant à la moquerie publique » (*Préface de Tartuffe*). Molière reprend l'expression ancienne : « Castigat ridendo mores » (« Par le rire, elle corrige les mœurs »). À ce catalogue d'exigences, s'ajoute un autre élément souligné par Charles Mauron : la comédie affiche délibérément son aspect ludique et trompeur. Contrairement à la tragédie, elle ne vise pas à donner l'illusion de la réalité des actions présentées, modifiant ainsi le rapport avec la mimésis : « Le spectateur est rapidement averti qu'il participe mentalement à un jeu et non plus à un rêve. Mettant de côté sa participation affective, il peut accepter ce qu'il aurait normalement rejeté : une incohérence contraire à son expérience réelle des actions humaines, de leurs causes et de leurs effets. Car telle est la liberté du jeu : paradoxalement, la plus mythique des tragédies a moins droit à l'irréalité que la comédie la plus quotidienne. » (Charles Mauron, *Psychocritique du genre comique*, Paris, José Corti, 1964, p. 29.) Ainsi, les renversements de situation (comme « l'arroseur arrosé »), la parodie (des actions nobles imitées pour rire), le comique de personnages (comme les valets), l'utilisation de langage humoristique, et l'invraisemblance des situations (dans l'imbroglio) font partie de la panoplie de la comédie. Cependant, ces remarques suffisent-elles pour définir un genre ? Pas nécessairement, car comme le souligne un commentateur : « Aucun des éléments de la comédie n'est unique en lui-même, et la spécificité de la comédie repose sur une combinaison de traits dont la présence simultanée, au moins pour la plupart d'entre eux, permet de la définir comme telle. » (Michel Corvin, *Lire la comédie*, Paris, Dunod, 1994, p. XI.) Corvin conclut finalement par une formule originale mais intrigante : « La comédie est une histoire de fous et de menteurs » (ibid., p. 205). D'où la diversité de ses formes.

5.2. Un genre polymorphe

Les meilleurs experts reconnaissent que la comédie est un genre "fourre-tout" :
"La comédie reste un genre qui peut prendre différentes formes, capable de s'orienter dans des directions très variées. Cette flexibilité lui a permis de ne pas être figée par les législateurs ; son histoire s'est écrite non pas dans les manuels, mais sur scène, en relation étroite avec le public."
(Robert Abirached, article "Comédie", dans J.-P. de Beaumarchais, D. Couty,
A. Rey [dir.], *Dictionnaire des littératures de langue française*)

Ainsi, ce qui définit la comédie, ce n'est pas une liste précise de critères, mais la variété de ses formes. Voici quelques-unes de ces formes, qui constituent des genres ou sous-genres à part entière.

### La Farce
La farce est un bref divertissement reposant sur une intrigue simple dont l'élément central est la tromperie. C'est un genre populaire, qui a émergé au Moyen Âge, généralement sous forme de sketches comiques insérés entre des pièces plus sérieuses. Elle est caractérisée par des éléments reconnaissables :
- Personnages types, masques grotesques, clowneries, mimiques, lazzi, grimaces, jeux de mots, et un humour souvent grossier ou obscène.
(Charles Mauron, *Psychocritique du genre comique*)
En utilisant Bakhtine, Michel Corvin décrit la farce comme "un monde à l'envers, où les hiérarchies morales, religieuses, sexuelles, voire politiques sont renversées." (*Lire la comédie*)

Il existe environ 150 farces médiévales écrites entre 1450 et 1550, dont la plus célèbre, *La Farce de maître Pathelin*, est en 1 500 vers et cinq actes. Molière a intégré des éléments de farce dans ses pièces comme *La Jalousie du Barbouillé*, *Les Femmes savantes*, et *Dom Juan*. Plus tard, Labiche, Feydeau et Courteline ont transformé la farce en vaudeville, tandis que Jarry (*Ubu roi*) a donné une tournure absurde au genre.

### La Commedia dell'Arte
Également appelée "all'improviso" ou "a soggetto", la commedia dell'arte est née en Italie au milieu du XVIe siècle et s'est répandue en Europe et en France durant les deux siècles suivants. Elle a trois caractéristiques principales :
- **Le canevas** : Les comédiens improvisent à partir d'une trame narrative simplifiée, souvent basée sur une histoire d'amour contrariée.
- **Le jeu corporel** : Les comédiens sont des acrobates, des musiciens, des danseurs, des mimes et des clowns, utilisant des lazzi, des grimaces, et des déguisements.
- **Les masques** : Les personnages sont stéréotypés et représentent des rôles fixes comme les amoureux (Pierrot, Colombine), les vieillards grotesques (Pantalon, le docteur bolonais), les valets rusés (Arlequin, Brighella), et les fanfarons (Capitan).
Molière et Marivaux ont tous deux puisé dans la commedia dell'arte pour leurs propres créations.

### Le Vaudeville
Originaire du XVIIIe siècle, le vaudeville a émergé du Théâtre de la Foire, accompagné de chansons populaires. L'opéra-comique est un descendant de ce genre, mais ce sont Labiche et Feydeau qui ont transformé le vaudeville en une comédie basée sur des quiproquos, des retournements de situation, et des répliques piquantes. La "comédie de boulevard", qui occupe une place importante dans le théâtre contemporain, s'inspire de ce modèle.

6. Le drame

Le terme "drame" fait d'abord référence à l'action théâtrale, comme l'indiquait déjà Aristote dans sa Poétique. Henri Gouhier souligne cette caractéristique : « L'essence du théâtre réside en deux mots : το δραμα [drama] qui signifie 'l'action', et το τεατρον [théatron], le lieu où l’on voit ». Dans ce contexte, le dérivé adjectival "dramatique" est utilisé pour désigner "ce qui concerne l'action", englobant tout ce qui a trait au théâtre, y compris le "genre dramatique".

Selon Michel Lioure, on peut affirmer que « [...] le drame n'existe pas en tant que genre dramatique spécifique ; le terme drame, dépouillé de toute signification précise, inclut donc aussi bien la tragédie que la comédie, englobant des auteurs comme Sophocle et Aristophane. » (*Le Drame, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1963, p. 7.*) Cependant, malgré ces réserves, le terme "drame" a commencé à s'implanter progressivement dans le vocabulaire littéraire pour désigner une forme intermédiaire entre la comédie et la tragédie. Même si Nivelle de La Chaussée préférait le terme "comédie larmoyante" pour désigner ses œuvres hybrides (*Le Préjugé à la mode, 1735*), et Diderot parlait de "genre sérieux" pour ses pièces (*Le Fils naturel, 1757 ; Le Père de famille, 1758*), le terme "drame" a finalement été adopté par des dramaturges et théoriciens du XVIIIe siècle tels que Diderot, Beaumarchais ou Louis-Sébastien Mercier.

Victor Hugo, bien que figure centrale dans l'illustration du "drame", avoue lui-même la difficulté de définir ce "genre" : « C'est une chose étrange que le drame. Son diamètre va des *Sept Chefs contre Thèbes* au *Philosophe sans le savoir*, de Brid’Oison à Œdipe. Thyeste en fait partie, Turcaret aussi. Si vous voulez le définir, incluez Électre et Marton [...]. Le drame a tous les horizons [...]. Le drame est le plus vaste récipient de l'art. » (*William Shakespeare, 1864, 1re partie, l. IV.*)

Bien que le drame n'ait pas la même assise historique que la comédie ou la tragédie, Anne Ubersfeld tente de lui conférer une esthétique spécifique : « Est considéré comme drame toute œuvre qui, sans tenir compte de la forme ou des codes, ni de l'effet pathétique ou comique, construit une histoire impliquant à la fois des destinées individuelles et un univers 'social'. » (*Le Drame romantique, Paris, Belin, 1993, p. 7.*) Elle reconnaît cependant la difficulté de cette définition et précise que le drame se caractérise par sa liberté. Michel Lioure partage une idée similaire en affirmant que le drame « se définit par son refus même de la notion de genre », n'étant qu'une "tentation théâtrale perpétuelle" qui s'appuie sur quelques principes esthétiques tels que l'intensité, la variété, le plaisir direct et la simplicité.

Jean Anouilh, dans son *Antigone*, oppose le drame à la tragédie en soulignant le côté utilitaire et moins noble du premier. « Dans la tragédie, c'est propre et reposant. Dans le drame, avec ses traîtres, ses méchants acharnés, ses innocents persécutés, cela devient épouvantable de mourir, comme un accident. Dans le drame, on se débat parce qu'on espère en sortir. C'est ignoble, c'est utilitaire. »

Ainsi, le drame, plus profane que la tragédie, se distingue par son refus de s'enfermer dans des règles strictes ou des caractéristiques universelles, ce qui rend difficile de le qualifier de "genre" au sens strict. Pour cette raison, sa définition reste liée à ses différentes manifestations à travers l'histoire.

6.1. Le drame bourgeois du XVIIIe siècle

Au milieu du siècle des Lumières, une nouvelle forme théâtrale commence à émerger, influencée par les œuvres de Nivelle de La Chaussée et inspirée par des dramaturges étrangers tels que Calderón, Lope de Vega, Shakespeare et George Lillo. Diderot se positionne comme le premier à codifier ce "genre sérieux" dans ses *Entretiens avec Dorval sur Le Fils naturel* (1757). Ce nouveau genre se caractérise par plusieurs éléments :

- Un retour à des sujets contemporains
- Des personnages issus de la vie quotidienne
- Un réalisme dans les situations, incluant des « tableaux » vivants et des accessoires
- Un mélange des tons
- Une visée édifiante

Une réplique de Dorval illustre la flexibilité de ce nouveau genre : « Une pièce ne se renferme jamais à la rigueur dans un genre. Il n’y a point d'ouvrage dans les genres tragique ou comique où l’on ne trouvât des morceaux qui ne seraient point déplacés dans le genre sérieux ; et il y en aura réciproquement dans celui-ci, qui porteront l'empreinte de l'un et l'autre genre. »

Beaumarchais soutient également ce « nouveau genre », mettant en avant le plaisir des larmes, la leçon morale, la vérité des situations, tout en ajoutant des préoccupations politiques et sociales. Dans son *Essai sur le genre dramatique sérieux* (1767), il écrit des phrases devenues célèbres pour leur critique des thèmes classiques : « Que me font à moi, sujet paisible d'un État monarchique du XVIIIe siècle, les révolutions d'Athènes et de Rome ? Quel véritable intérêt puis-je prendre à la mort d'un tyran du Péloponnèse ? Au sacrifice d'une jeune princesse en Aulide ? »

Louis-Sébastien Mercier propose sa propre définition de cette nouvelle forme dramatique : « Le drame n'est point une action forcée extrême ; c'est un beau moment de la vie humaine, qui révèle l'intérieur d'une famille, où, sans négliger les grands traits, on réveille précisément les détails. » (*Du théâtre ou Nouvel essai sur l'art dramatique*, 1773).

Bien que ce style de théâtre ait eu un succès esthétique limité (à part les deux grandes comédies de Beaumarchais, la plupart des œuvres n'ont pas perduré), il a joué un rôle crucial en introduisant le mélange des tons, en s'intéressant au quotidien, et en mettant l'accent sur le spectacle. Cette approche a ouvert la voie au drame romantique et, plus tard, à l'émergence du théâtre moderne, contribuant à briser les règles strictes des genres traditionnels.

6.2. Le drame romantique

Pour résumer les éléments clés, Anne Ubersfeld distingue trois "révolutions" qui caractérisent le drame romantique dans son ouvrage *Le Drame romantique* :

- **Révolution historique** : L'histoire devient un sujet central, mais pas l'Antiquité, qui est le domaine de la tragédie classique. Au lieu de cela, l'accent est mis sur l'histoire récente, en particulier la Renaissance. Les différents niveaux de la société sont mis en scène, et le roi n'est plus intouchable ; sa fonction même peut être remise en question.

- **Révolution technique** : Les règles du théâtre classique sont partiellement abolies, avec la suppression de certaines contraintes telles que l'unité de temps et de lieu. Les tons se mélangent, les intrigues se multiplient, et le langage subit une réforme.

- **Révolution philosophique** : La montée de l'individualisme accompagne la promotion du héros et soulève des questions psychologiques. Le héros romantique est souvent tourmenté, un mélange de « romantique plaintif et homme d'action » (comme le décrit Ubersfeld), pris au piège d'un moi envahissant et hanté par un sentiment de fatalité.

Il n'est pas nécessaire ici de retracer toute l'histoire du drame romantique, de *Cromwell* (1827) et sa célèbre préface, aux *Burgraves* (1843), une autre pièce de Hugo qui n'a pas été bien reçue par le public. Cependant, il convient de noter l'influence des modèles étrangers (Shakespeare, Schiller, Goethe, Alfieri…), l'importance des lieux de représentation (la Comédie-Française, le théâtre de boulevard, et le célèbre Théâtre de la Porte Saint-Martin), ainsi que le rôle des comédiens engagés dans la bataille romantique (Marie Dorval, Mlle Georges, Talma, Frédéric Lemaître, Bocage, etc.).

Hugo, avec son ambition totalisante pour le drame romantique, l'exprime ainsi :

"Le drame, selon le XIXe siècle, ce n'est pas la tragi-comédie hautaine, démesurée, espagnole et sublime de Corneille ; ce n'est pas la tragédie abstraite, amoureuse, idéale et divinement élégiaque de Racine ; ce n'est pas la comédie profonde, sagace, pénétrante, mais trop impitoyablement ironique, de Molière ; ce n'est pas la tragédie à intention philosophique de Voltaire ; ce n'est pas la comédie à action révolutionnaire de Beaumarchais ; ce n'est pas tout cela, mais c'est tout cela à la fois ; ou, pour mieux dire, ce n'est rien de tout cela. […] C'est tout regarder à la fois sous toutes les faces."
(Préface de *Marie Tudor*, 1833).

6.3. Le drame symboliste

Une nouvelle forme de drame a émergé en France entre 1885 et 1914, marquée par un rejet du naturalisme alors en vogue et de la légèreté des comédies de mœurs qui étaient très populaires. Ce drame "fin de siècle", empreint de lyrisme, a été illustré par des auteurs tels que Maeterlinck, Villiers de L'Isle-Adam, Claudel, et soutenu par des metteurs en scène influents comme Antoine, Lugné-Poe, et Paul Fort. Ce théâtre incorpore des éléments de la poésie symboliste, caractérisée par son goût de l'étrange, du raffinement, de l'onirique et du mystique. Selon Michel Lioure, voici quelques constantes de ce type de théâtre :

- Un langage soigné qui évite la banalité.
- Un irréalisme dans la forme, le contenu, et les dialogues.
- Un attrait pour l'étrange ou le merveilleux.
- Une action limitée, reposant sur une intrigue mince.
- Une musicalité du texte, rappelant l'oratorio lyrique.

Ces formes théâtrales historiques partagent peu de points communs entre elles, à part leur éloignement du modèle traditionnel de la tragédie. La confusion s'intensifie lorsque l'on inclut dans la catégorie du drame des pièces contemporaines qui semblent s'en rapprocher. C'est le cas des œuvres influencées par l'héritage bourgeois (Bernstein, Salacrou), la tragédie historique (Montherlant, Rostand), la farce surréaliste (Apollinaire), le débat philosophique (Sartre, Camus), ou la parodie mythologique (Giraudoux, Cocteau, Anouilh), entre autres.

Cet éparpillement suffirait à déclarer, comme suggéré au début, que le concept de "genre" n'a plus vraiment de sens pour le drame. Robert Abirached le souligne avec force :

"Finalement, quel que soit l'angle d'approche, on en vient à constater que le terme 'drame' a presque entièrement disparu du vocabulaire théâtral, simplement parce qu'il n'est plus utile à quiconque."
(Art. "Drame", dans J.-P. de Beaumarchais, D. Couty, A. Rey [dir.], Dictionnaire des littératures de langue française, op. cit.)

Ainsi, le drame retrouve son sens originel, se confondant désormais avec le théâtre dans son ensemble.

6.4. Le mélodrame

La forme hybride qui s'est développée à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle sert de "point de jonction" entre le drame bourgeois et le drame romantique, selon Michel Lioure. Guilbert de Pixerécourt, surnommé le "Corneille du Boulevard", est la figure de proue de ce mouvement, ayant écrit près de 120 pièces et en ayant fait jouer plus de la moitié.

Le terme "mélodrame" signifie étymologiquement "drame chanté", et au XVIIIe siècle, il désigne des pièces qui mêlent encore dialogues et musique, comme le montre Rousseau avec son "Pygmalion" (1775). Par la suite, le sens du mot a évolué pour désigner une pièce populaire stricte, suivant des règles devenues des recettes stéréotypées, telles que :
- Des personnages fixes et reconnaissables (le héros, l'héroïne, le père, le traître, le niais).
- Des décors conventionnels et spectaculaires (châteaux forts, ruines, tombes).
- Une structure invariable en trois actes (la crise, la souffrance, la délivrance).

En résumé, plusieurs idées se dégagent du genre dramatique :
- Le genre dramatique est clairement identifiable grâce à de nombreux signes distinctifs, structurels et "poétiques", parmi lesquels l'énonciation à la première personne.
- Il se subdivise en différentes formes et à divers niveaux hiérarchiques : la tragédie, la comédie, le drame, eux-mêmes divisés en sous-genres comme la tragicomédie, la farce, le mélodrame, etc.
- Parmi ces formes, la tragédie semble la plus conforme aux règles du genre et sert de référence pour les autres types de pièces.
- À mesure que l'on descend dans la hiérarchie des formes, les caractéristiques distinctives deviennent moins précises et peuvent parfois n'être que des étiquettes historiques.
- Malgré ses origines très anciennes, le genre dramatique reste vivace mais assez flexible à l'époque contemporaine.
- Enfin, on peut se demander si le genre dramatique appartient vraiment au domaine littéraire, puisque son champ d'action dépasse souvent le texte écrit.