4. La tragédie

4.1. La définition d’Aristote

"Dans un essai dédié à la question, Alain Couprie écrit que « aucun dramaturge français n’a tenté de donner une définition claire de la tragédie ». Pour éclaircir ce manque, il faut se tourner vers Aristote, qui fournit une explication précise : La tragédie, selon Aristote, est « l’imitation d’une action noble menée jusqu'à son terme et d'une certaine ampleur, utilisant un langage agrémenté de divers ornements, appliqués séparément selon les parties de l'œuvre ; elle se présente par le biais de personnages en action et non par narration, et cherche à susciter la pitié et la crainte pour accomplir une purification émotionnelle. » (Poétique, 1449b).

Ce texte fondateur met en lumière quelques principes essentiels :

  • La tragédie appartient au théâtre, centrée sur la mimésis (imitation directe par des personnages), opposée à la narration (diégésis), pour mettre en avant l'action.
  • L'action, basée sur le muthos (histoire), est « conduite jusqu'à sa fin », avec un dénouement souvent tragique (comme la mort) qui marque la résolution de la crise.
  • La tragédie joue un rôle libérateur par la « purgation » (catharsis), où le héros tragique, en comprenant son destin, quitte l'état de victime pour atteindre une connaissance qui libère les spectateurs de leurs passions destructrices, conduisant à une purification émotionnelle.
  • La tragédie opère dans le registre de la « noblesse », tant par ses thèmes (« action noble ») que par son langage (« agrémenté de divers ornements »), incluant rythme, mélodie et chant. La noblesse se reflète également dans ses personnages.

Le discours sur la tragédie ne s'arrête pas à cette définition. Dans la suite de son traité, Aristote décrit d'autres principes pour l'art de la tragédie :

  • La vraisemblance, qui exige que les événements suivent une logique cohérente, évitant les péripéties injustifiées.
  • La composition, qui suit des règles précises du début (nœud) à la fin (résolution).
  • La valeur exemplaire, qui évite de s’attarder sur des traits individuels pour privilégier un destin collectif. Aristote note : « Au lieu d'imiter des caractères à travers des personnes agissantes, les auteurs conçoivent les caractères par le biais de l'action. »

Jacqueline de Romilly, dans son livre sur la tragédie, souligne que l'invention de la tragédie est un grand honneur attribué aux Grecs. Cet art émerge à un moment de prospérité dans l'histoire d'Athènes : après la fin des guerres médiques, Athènes crée la Confédération de Délos en 478 av. J.-C., établissant un empire maritime, une prospérité économique et une hégémonie politique autour de la Méditerranée. Sous Périclès, en 441 av. J.-C., l’année de l’Antigone de Sophocle, on reconstruit l'Acropole, établissant les bases de la démocratie. Cependant, cette ère de prospérité connaît des revers, avec la guerre du Péloponnèse et la peste d’Athènes, qui mènent au déclin de la cité. Pourtant, c'est précisément pendant ces années de prospérité que le théâtre, et surtout la tragédie, prospèrent, sur une courte période d'environ quatre-vingts ans, grâce aux trois grands dramaturges : Eschyle, Sophocle, et Euripide