2. Les critères du genre

L'idée que le théâtre n'est pas un genre littéraire, mais plutôt une pratique scénique, est au centre de la réflexion d'Anne Ubersfeld, une spécialiste du théâtre. Sa déclaration audacieuse dans "Lire le théâtre, t. II, L'École du spectateur", met en lumière une problématique persistante : la place du théâtre dans la littérature. Malgré cette ambiguïté, certains traits permettent de cerner le théâtre en tant que forme artistique. Analysons ces traits, parmi lesquels figurent l'énonciation, le rapport au temps, le langage dramatique et le personnage.

L'énonciation
La première caractéristique qui définit le genre dramatique, selon Aristote, est l'énonciation. Le théâtre, par opposition à la narration, repose sur des personnages qui agissent et parlent directement, créant une mimésis plus immédiate. Patrice Pavis note que le théâtre devient alors le genre le plus "objectif", où les personnages semblent s'exprimer par eux-mêmes sans l'intervention directe de l'auteur, sauf dans des cas exceptionnels comme les chœurs, les prologues ou les épilogues.

Le rapport au temps
Le théâtre est intrinsèquement lié à la temporalité de la représentation. Anne Ubersfeld souligne que le temps au théâtre est celui du "ici-maintenant" de la scène, coïncidant avec le moment vécu par le spectateur. L'action théâtrale se limite généralement au temps de la représentation, même si des récits internes peuvent élargir la temporalité. Il convient également de différencier le "temps dramatique", qui peut s'étendre sur une période plus longue, et le "temps scénique", qui correspond au temps réel de la représentation.

Le langage dramatique
Le théâtre utilise un langage composé de deux faces complémentaires : le texte dramatique et les effets scéniques. Le texte dramatique inclut les dialogues, les monologues et les didascalies. Les effets scéniques, tels que les décors, les costumes et les accessoires, ajoutent une dimension visuelle au texte. À mesure que le théâtre a évolué, l'importance de la mise en scène a augmenté, souvent jusqu'à rivaliser avec le texte lui-même. Antonin Artaud, par exemple, envisageait une théâtralité où la mise en scène et les signes priment sur les mots.

Le personnage
Le statut du personnage dans le théâtre a évolué au fil du temps. Pour Aristote, le personnage est un simple support de l'action, devant s'effacer devant celle-ci. Au cours de l'histoire, cette perspective a changé, certains dramaturges mettant l'accent sur la psychologie des personnages, comme Shakespeare ou Corneille. Cependant, le théâtre moderne tend à redonner au personnage sa fonction dramatique dans un système de conflit, comme le montre l'analyse "actantielle". Jean Rousset a mis en lumière la "structure du double registre", où le personnage s'adresse à un autre personnage tout en communiquant implicitement avec le public.

En définitive, le théâtre peut être perçu comme un art qui transcende le genre littéraire, combinant texte et représentation pour créer une expérience unique. Anne Ubersfeld résume bien cette complexité en décrivant le personnage comme un médiateur entre texte et représentation, où le spectateur investit sa propre interprétation. Cette richesse permet au théâtre de maintenir sa pertinence tout en évoluant avec le temps