5. Le débat théorique

5.4. Genres et rhétorique

Après avoir déploré le manque d'une "analyse cohérente" des genres, le critique canadien Northrop Frye, dans un chapitre de son livre "Anatomie de la critique" (1957), propose de jeter les bases d'une "théorie des genres" à partir de critères rhétoriques et pragmatiques. Il commence par examiner la base de la "division trinitaire" traditionnelle :

"L'origine des termes, drame, épopée, lyrique nous indique que le principe fondamental de la distinction des genres est particulièrement simple. La définition générique en littérature repose sur la forme de présentation. La parole peut être mimée devant des spectateurs, déclamée devant des auditeurs, psalmodiée ou chantée, ou écrite à l'intention d'un lecteur [...]. Il n'en reste pas moins que la critique des genres repose sur la rhétorique dans le sens où le genre est déterminé par la manière dont la communication entre le poète et son public s'établit." (N. Frye, Anatomie de la critique, trad. fr., Paris, Gallimard, 1969, p. 300.)

Cependant, Frye souligne que cette loi de présentation a perdu de sa pertinence dans un contexte où tous les textes sont écrits. En outre, au sein d'un genre destiné à être lu, comme le roman, différentes séquences (dialogues, narrations intercalées, etc.) peuvent se rapprocher de la parole déclamée, et certains poèmes peuvent être mimés comme des œuvres dramatiques. En tenant compte de ces limites, Frye propose une nouvelle classification à quatre niveaux :

  1. L'épos : regroupe toutes les œuvres littéraires, en vers ou en prose, qui semblent tenir compte de la convention d'une exposition orale devant un auditoire.
  2. La fiction : bien que Frye regrette de ne pas disposer d'un meilleur terme, il utilise celui-ci pour désigner le "genre littéraire caractéristique de l'œuvre imprimée", qui inclut le conte, le roman, la poésie non lyrique, et l'essai.
  3. Le dramatique : le genre où l'auteur s'efface pour placer ses "personnages hypothétiques" directement face à l'auditoire.
  4. La poésie lyrique : dans laquelle "la parole ne s'adresse pas au public. [...] Le poète lyrique est censé se parler à lui-même, ou à un auditeur spécialement choisi : un esprit de la nature, la Muse [...], un ami, une personne aimée [...]."

Dans cette conception, le genre est déterminé par le rapport d'implication entre l'auteur et son auditoire. La littérature, art mimétique par excellence, imite des situations que l'on rencontre dans la vie : le langage direct pour l'épos où le poète fait face à son auditoire, la pensée abstraite pour la fiction, les sons et les images pour le lyrisme, et le langage indirect pour le théâtre. De plus, il est possible de hiérarchiser les quatre modes : "l'épos et la fiction occupent dans la littérature une position centrale, entre le lyrisme d'une part, et la présentation dramatique de l'autre" (ibid., p. 303).