La notion de genre littéraire
Site: | Plateforme pédagogique de l'Université Sétif2 |
Course: | ET-HALLAL |
Book: | La notion de genre littéraire |
Printed by: | Visiteur anonyme |
Date: | Sunday, 19 May 2024, 2:43 AM |
1. Introduction
Bien que les histoires littéraires et les anthologies scolaires établissent souvent des distinctions claires entre le roman, la poésie et le théâtre – en s'appuyant sur les classifications traditionnelles –, il est plus complexe de cerner précisément les fondements de cette répartition, ainsi que sa portée, son importance, et ses limites. La notion de genre, qui constitue un élément clé de la description littéraire, soulève suffisamment de questions théoriques pour que l'on cherche, avant de classer les œuvres dans différentes catégories, à définir ce concept, à délimiter son champ d'application, et à mettre en lumière ses zones d'ombre.
2. Le terme et ses significations
3. À propos de certains présupposés
Trois présupposés découlent de cette définition.
3.1. L'idée de norme
Le classement en genres repose sur un désir d’ordre, dans les deux sens du terme. D'un côté, en répartissant des objets dans des catégories précises, on peut remédier au chaos d'une production désorganisée. Le genre, en tant qu'étiquette de classement, devient un outil pratique pour passer de l'imprécis au précis, de l'indéfini au défini, du général au spécifique. D'un autre côté, cette organisation des genres est aussi un « ordre imposé », dans le sens où la catégorie générique prédétermine le contenu des œuvres qui y sont associées. Cela crée une structure rigide régie par des règles strictes dont le respect assure la cohérence. Pour caractériser les genres, des critères d'appartenance ont dû être définis et, une fois formalisés en termes normatifs, ils se sont transformés en contraintes codifiées. Chaque genre implique des lois qui le définissent, des limites qui le délimitent, des théoriciens qui en surveillent l'usage et qui confèrent leur approbation. On comprend donc pourquoi ces rigidités peuvent provoquer des rébellions et comment ces règles peuvent encourager des transgressions.
3.2. L'idée de nombre
Le genre représente une forme de pluralité. Pour qu'un genre existe, il faut rassembler des éléments individuels, d'un nombre indéfini mais suffisamment significatif, en se basant sur des critères de ressemblance. C'est en juxtaposant différentes œuvres théâtrales qui partagent la même esthétique que l'on crée la catégorie de la comédie, même si Molière, Marivaux, et Courteline restent finalement assez différents les uns des autres. De plus, le genre acquiert tout son sens par rapport aux autres genres avec lesquels il se démarque.
3.3. L'idée de hiérarchie
La définition du terme « genre » révèle une division stratifiée du savoir. Le genre marque un premier niveau par rapport à l'espèce, laquelle est subdivisée en familles ou classes, elles-mêmes composées de groupes ou cellules, eux-mêmes constitués d'unités ou d'objets, et ainsi de suite. Cette notion reproduit ainsi une réalité sociale et culturelle - et presque idéologique -, reflétant l'organisation humaine sous une structure pyramidale.
4. La perspective historique
4.1. Le modèle grec : Platon et Aristote
4.2. La triade canonique
l semble en réalité que ce soit les successeurs de Platon et d'Aristote qui, par une lecture « moderne » des écrits antiques, aient contribué à établir une division tripartite des genres. Ducrot et Todorov font référence à l'apport de Diomède, un grammairien latin du IVe siècle, qui a « systématisé Platon » en proposant les définitions suivantes : le lyrisme correspond aux œuvres où seul l'auteur s'exprime; le dramatique englobe celles où seuls les personnages parlent; et l'épique concerne les œuvres où l'auteur et les personnages prennent tour à tour la parole.
Cette tripartition, qui allait devenir très influente, est en fait le résultat d'une interprétation forcée des penseurs grecs. Elle sera reprise par la suite par les théoriciens de l'époque classique, comme Boileau ou Rapin, qui ont tenté de classer les œuvres selon les genres, validant ainsi la prétendue orthodoxie aristotélicienne. Cette approche est également adoptée par l'abbé Batteux au XVIIIe siècle qui, en assimilant le dithyrambe à la poésie lyrique (puisque dans les deux cas, le poète s'exprime en son nom propre), arrive à ce qu'il appelle les trois « couleurs » de l'œuvre littéraire : la poésie lyrique, l'épopée et le théâtre.
Cette division, indûment attribuée à Platon ou à Aristote, deviendra une norme incontestable pour le romantisme allemand, particulièrement chez les frères Schlegel, en particulier Friedrich, qui au début du XIXe siècle, établit trois « formes » de genres : lyrique, épique, dramatique, différenciées par leur niveau de subjectivité (respectivement appelées « subjective », « subjective-objective », « objective »), et introduit l'idée d'une priorité historique de l'épopée. Après eux, Hölderlin, Schelling, Goethe et Hegel reprendront ce schéma tripartite, qui sera largement diffusé tout au long du XIXe siècle et même au XXe.
Les théoriciens ont tendance à élaborer des systèmes qui imposent une certaine cohérence, au risque de distordre, comme le déplore Genette, les analyses des Anciens et la diversité du champ littéraire :
"L'histoire de la théorie des genres est toute marquée par ces schémas fascinants qui à la fois informent et déforment la réalité souvent hétérogène du champ littéraire, prétendant découvrir un « système » naturel là où ils construisent une symétrie artificielle à coups de fausses fenêtres." (Introduction à l'architexte, p. 26.)
5. Le débat théorique
Deux conséquences découlent de ce qu’on appelle communément le « modèle aristotélicien » : d'une part, une adhésion inconditionnelle à la triade classique des genres, qui est désormais considérée comme la norme légitime pour toute description littéraire, justifiée par le « principe d'autorité » ; d'autre part, un besoin épistémologique de justifier, clarifier, amender ou contester cette tripartition en introduisant divers correctifs. En d'autres termes, les théoriciens modernes – en particulier ceux des cinquante dernières années, où le débat s'est considérablement radicalisé – ont ressenti le besoin de redéfinir les genres à travers des critères distinctifs basés sur des approches spécifiques. C’est sur ce travail d’approfondissement et de réévaluation – limité ici à ses aspects essentiels