5. Le débat théorique

5.3. Pragmatique et « horizon d’attente »

Dans l'analyse moderne des œuvres littéraires, il est devenu essentiel d'intégrer la relation entre le texte et son lecteur comme une donnée opérationnelle. Cette relation permet de définir la pragmatique, un terme emprunté à la linguistique, qui désigne la relation entre un signe et son utilisateur. Appliquée à la littérature, la pragmatique vise à prendre en compte et à étudier les divers actes du langage en fonction du contexte et du type de relation entre l'énonciateur et son public.

C'est sur ce principe que Mikhaïl Bakhtine établit une distinction qui englobe les "genres du discours", y compris les genres littéraires. Il identifie d'une part des genres premiers, des formes de discours simples comme une conversation quotidienne, un récit informel, une lettre personnelle, et d'autre part des genres seconds, qui émergent des premiers à travers une transformation vers une plus grande complexité. Selon Bakhtine: "Le roman dans son ensemble est un énoncé au même titre qu'une réplique dans une conversation quotidienne ou qu'une lettre personnelle; ce qui distingue le roman, c'est qu'il est un énoncé second (complexe)." (Mikhaïl Bakhtine, Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, 1984, "Les genres du discours", p. 267.)

L'analyse de Bakhtine réintègre les œuvres littéraires dans le domaine de l'activité humaine où le langage joue un rôle central. Cependant, elle néglige la notion de "littérarité" qui est propre aux textes littéraires et qui n'est pas forcément présente dans d'autres formes de discours.

Cette fonction de "littérarité" (définie par Jakobson) est au contraire au cœur de la réflexion menée par les théoriciens de l'École de Constance, notamment par Hans-Robert Jauss. Selon lui, une œuvre d'art se définit par "l'intensité de son effet sur un public donné." Cela signifie que la réception d'une œuvre peut varier selon l'époque, le pays, la civilisation, et dépend de ce que Jauss, en s'inspirant de Husserl, appelle un "horizon d'attente." Ce consensus conventionnel confère au texte littéraire, presque indépendamment de son auteur et de ses intentions, une "norme esthétique" qui guide sa réception, sa réputation, et par conséquent, sa classification.

Ainsi, le genre est moins défini par l'application d'un modèle préexistant ou par le respect d'un code abstrait, que par la matérialisation d'un "pacte" entre l'œuvre et le public, ou, comme le dit Maingueneau, par un "contrat littéraire" plus ou moins conforme aux limites d'un genre. Les travaux de Philippe Lejeune sur l'autobiographie illustrent bien ce concept à travers le "pacte autobiographique."

Cette référence à des attentes partagées permet d'élargir la notion de "genre" à des formes littéraires diverses—souvent appelées "types", "modes" ou "écritures"—comme le récit fantastique, le roman sentimental, l'autobiographie, le récit de voyage, etc.