1. La traduction : essais de définition

L'âge de la traduction

Avec le développement de l'information à l'échelle mondiale, nous sommes entrés de plain-pied dans l'ère de la traduction généralisée. De nos jours, son importance et sa nécessité ne sont plus à démontrer : on traduit de plus en plus de documents vers des langues sans cesse plus nombreuses. Cette tendance est accentuée par les progrès technologiques dans les secteurs de l'informatique et de la communication.
Traduire profite aussi bien aux leaders économiques qu'aux acteurs de la société civile. La traduction est au cœur des activités économiques, politiques et culturelles de toutes les nations du monde. Elle joue un rôle clé dans de nombreux domaines de la vie sociale et contribue au respect de la diversité linguistique et culturelle à l'échelle nationale et internationale. Pour certains penseurs à l'imgede IsaacBashevis Singer, la traduction demeurera « l'essence même de la civilisation ».
D'après Newmark (1982 : 4), la traduction s'est assignée plusieurs missions selon les époques : « On a traduit pour découvrir une culture, pour s'approprier un savoir. On a traduit pour répandre ou défendre des idées religieuses, pour imposer ou combattre des doctrines philosophiques ou des systèmes politiques. On a traduit pour créer ou parfaire une langue nationale. On a traduit pour révéler une œuvre, par admiration pour un auteur. On a traduit même fictivement, faisant passer pour traduction des œuvres originales. On a traduit pour faire progresser les sciences et les techniques. On a traduit pour mille et un raisons. La traduction était à la fois arme et outil. Elle remplissait une mission ».
Ces exemples historiques illustrent parfaitement l'importance de chaque aspect de la traduction et selon le même auteur : « la traduction est de tous les temps. Orale d'abord, écrite ensuite, elle a toujours existé. Elle fait partie intégrante de la vie intellectuelle de tout peuple civilisé » (idem, 1982 : 366).
Donc, la traduction est intimement liée au mouvement global de la mondialisation. Elle est à la fois le vecteur et le produit de ce mouvement. La communauté internationale est plus que jamais consciente des enjeux économiques, politiques, scientifiques, culturels et notamment civilisationnels liés à la traduction.
Aperçu historique de la traduction

L'histoire de la traduction a fait l'objet de nombreuses études, à la fois à l'échelle de chaque pays et à l'échelle européenne. Même si la majorité des études ont été publiées en anglais, une large place a été faite à la tradition française et à la tradition allemande de la traduction. Face à la multiplication des études spécifiques et générales, l'histoire de la traduction apparaît de plus en plus comme un genre à part entière au sein de la traductologie, avec ses courants et ses méthodes propres.
Sommairement, il est possible de distinguer plusieurs perspectives d'études historiques : certains font l'histoire de la traduction en tant que pratique, par opposition à l'histoire de la traduction en tant que réflexion théorique.D'autres s'appuient sur la vie et l'œuvre des traducteurs pour retracer l'histoire de la traduction, par opposition à ceux qui étudient les traités et les préfaces qui précédent les traductions pour décrire une certaine évolution historique.
D'autres écrivent l'histoire de la traduction en la reliant à son contexte sociopolitique, par opposition à ceux qui la décrivent comme activité universelle et communément pratiquée dans toutes les langues et dans toutes les cultures. Ainsi par exemple, la traduction dans le monde moderne (1956) d'Edmond Cary présente surtout des faits concernant les traducteurs et les traductions tout au long de l'histoire. En revanche, After Babel (1975) de Georges Steiner s'intéresse davantage aux théories de la traduction à diverses époques. André Lefevere(1977) a proposé une anthologie des essais allemands sur la traduction, tandis que Paul Horguelin (1981) s'est limité au domaine français.
Bref, l'histoire de la traduction apparait aujourd'hui comme une construction intellectuelle qui dépend largement de l'interprétation personnelle de l'historien. Loin de se limiter à l'énumération des faits et des personnages historiques, les traductologues ont tendance à s'approprier à leur manière certains faits et écrits jugés essentiels pour la traduction
Qu'est-ce que la traductologie ?

Le mot « traductologie » désigne littéralement la science (logos) de la traduction (traducto). Garnier (1985 : 13) insiste sur la question de la dénomination : « les dénominations globales que l'on donne aux études dont l'objet est la traduction sont variables : outre théorie de la traduction, on rencontre également science de la traduction ou encore traductologie ».
Il est utile de préciser que « science de la traduction » est l'équivalent communément admis de l'anglais « Translation Studies » qui désigne le vaste domaine des études sur la traduction dans le monde anglo-saxon. Ainsi, Bassnett (1982) estime que la traductologie est l'étude de production et la description des traductions.
En réalité la traductologie est la discipline qui étudie à la fois la théorie et la pratique de la traduction sous toutes ses formes, verbales et non verbales. Aussi l'objet de la traductologie est bien la traduction dans toutes ses manifestations. Qu'il s'agisse de traduction orale ou écrite, générale ou spécialisée. Même si elle a été envisagée jusqu'ici comme une branche de la traductologie, la « théorie de la traduction » se confond en réalité avec la pratique du traducteur.
Il est utile d'aborder la traductologie au sein d'une épistémologie générale car cela permet de la situer parmi les autres disciplines, avant d'envisager une épistémologie qui lui est spécifique. La traductologie est traditionnellement classée parmi les sciences humaines et elle est souvent considérée comme une science du langage.
En tant que « science de l'homme », la traductologie doit prendre en considération des facteurs extérieurs qui ne relèvent pas proprement de l'objet produit (le texte) .Elle doit tenir toujours compte du contexte, c'est-à-dire, des phénomènes historiques, sociaux, psychologiques et politiques qui déterminent l'activité de traduction. De ce point de vue, il existe une socio-traductologie et une psycho-traductologie à toute étude sur la traduction.
La traductologie est d'essence interdisciplinaire parce qu'elle cherche à appréhender la globalité du phénomène traductionnel. Il n'est pas étonnant qu'elle ait besoin de nombreux moyens d'investigation empruntés à d'autres disciplines pour traiter la totalité de son objet protéiforme.
La spécificité de la traductologie réside dans son empirisme : l'homme a de tout temps pratiqué la traduction, mais il ne l'a pas toujours théorisée. Il s'ensuit que la traductologie est aujourd'hui fondée sur l'empirisme, c'est-à-dire, sur la pratique traductionnelle et sur l'observation des faits de traduction. Elle a acquis son autonomie en s'intéressant d'abord aux phénomènes traductionnels tels qu'on peut l'observer à travers des textes traduits.
En tant que discipline empirique, la traductologie tente d'identifier à partir de l'observation, des principes et des phénomènes récurrents dans l'activité de traduction.
Comme pour toute discipline empirique, l'élaboration d'un cadre théorique propre à la traductologie passe par trois étapes : l'observation, l'hypothèse et la vérification
 L'observation est soumise à la perception de l'observateur. Certaines composantes de l'observation traductologique ne sont pas négligeables : la compétence linguistique, le degré de la culture du sujet...etc. Pour ne pas ajouter de la complexité à cette étape, il serait plus judicieux que l'observateur n'exerce pas son observation sur ses propres traductions afin de séparer méthodologiquement le sujet observateur de l'objet observé.
 L'hypothèse consiste à proposer un principe de règle explicative à partir de la somme d'observations réalisées.
 La vérification permet de confirmer l'hypothèse. Mais la vérification nécessite des allers-retours incessants entre la théorie et la pratique traductionnelle.
L'objet de la traductologie :

La traductologie a pour objet la traduction envisagée en elle-même (processus) et pour elle-même (produit).Par traduction, il faut donc comprendre la suite ordonnée d'opérations ayant un tenant(le texte de départ, texte source ou texte à traduire), un aboutissant(le texte d'arrivée, texte cible ou texte traduit), et un acteur central(le traducteur, adaptateur, médiateur).
Pour la cohérence, il faut distinguer quatre éléments d'étude traductologique qui ne sauraient être confondus : l'objet à traduire (la commande), l'objet traduit (le produit), le sujet traducteur (le producteur) et l'opération de traduction (le processus).
L'objet à traduire :

L'objet à traduire est communément désigné dans la littérature traductologique par « texte de départ » ou « texte source » ou encore « texte original ». Le texte donné à traduire désigne l'objet initial destiné à la traduction, c'est-à-dire la commande et la matière première sur laquelle travaille le traducteur. Cette commande peut revêtir des formes diverses et variées : texte écrit, article de presse, roman, publicité, site web...etc.
L'objet destiné à la traduction subit des traitements successifs, suivant des modes d'interprétation individuels et parfois collectifs pour aboutir au produit final. Certes, il existe des règles d'analyse pour comprendre le texte de départ, mais les règles de conversation pour produire le texte d'arrivée ne sont pas toujours normées ni uniformes ; elles dépendent de la compétence, de la personnalité de chaque traducteur.
L'objet traduit :

L'objet traduit, communément désigné dans la littérature traductologique comme « texte d'arrivé » ou « texte cible », désigne le produit fini ou le résultat de l'activité de traduction. Dans bon nombre de travaux, il désigne un objectif à atteindre, un texte à venir. En théorie le texte traduit s'oppose au texte à traduire. En pratique, le texte traduit est produit individuel prenant la forme d'un essai de compréhension et de reformulation entre deux langues qu'il est possible de décrire et de comparer à d'autres essais de traduction. La notion d' « essai », au sens fort du mot, est importante ici perce qu'elle permet d'observer des variations individuelles dans la traduction des mêmes textes.

Le sujet traducteur :

Le traducteur a été considéré comme un translateur chargé de la simple transposition des mots d'une langue à l'autre, comme un adaptateur ayant la responsabilité de satisfaire les attentes du public visé,comme un médiateur qui se place à mi-chemin entre deux cultures ou deux mondes pour les rapprocher, comme un communicateur enfin, chargé de faciliter le dialogue entre individus et communautés éloignées.
Dans tous les cas, le traducteur apparait comme un percepteur sur deux plans : d'une part, pour traduire la perception du public de départ, et d'autre part, pour traduire la perception du public d'arrivée. Ces perceptions reflètent la connaissance qu'un traducteur donné possède de ses langues et de ses cultures de travail, car sa traduction est inconsciemment fondée sur ses habitudes linguistiques.
Mais le traducteur se trouve toujours au cœur du système : il est à la fois l'interprétant du texte de départ, le sélectionneur du sens à traduire, le décideur de l'objectif et de la finalité, le producteur de la version traduite, le premier récepteur de la traduction, parfois même son premier consommateur et son diffuseur auprès du public cible.
L'opération (ou le processus) de traduction :

Les sciences cognitives montrent que le sujet humain (le traducteur) a un rôle central dans le processus de traduction. Le processus de traduction comme résultat de processus psychique et mental, il occupe l'espace qui sépare le point de départ(le texte à traduire) du point d'arrivée (le texte traduit). L'opération tente d'identifier et de décrire l'ensemble des relations, principes, règles et procédés qui caractérisent chaque traduction individuellement. Les deux démarchent sont complémentaires même si la première tire la traductologie du coté des sciences de la nature et la seconde, du coté des sciences humaines.

Qu'est-ce que « traduire » ?

Le verbe traduire est introduit en français au 16ème siècle : « C'est en 1539 que l'humaniste, lexicographe et traducteur Robert Estienne a lancé le vocable « traduire » ; l'année suivante, Etienne Dolet enchaînait sur « traduction » et « traducteur » » (Cary 1963).
Comme l'explique Larose(1989) le verbe traduire trouve son origine dans un « très vieux verbe latin irrégulier dont les formes à l'infinitif présent étaient transféré, et au participe passé, translatus » Le mot interpres, quant à lui, désignait le traducteur en latin courant, comme jadis drogmanen italiendrogomanno. Ce dernier mot provient de l'arabe turjumân.
La difficulté de donner une définition unique de l'acte de traduire tient à la multiplicité de ses formes et de ses domaines d'application. Le mot « traduction » - ainsi que les autres mots de la même famille- renvoient à des réalités distinctes et évolutives, comme par exemple le fait de traduire de l'écrit ou de l'oral, vers une seule ou plusieurs langues, à partir d'un support papier ou électronique, seul ou à l'aide de la machine, de façon ponctuelle ou régulière, pour le plaisir ou avec un objectif précis, etc. Dans chaque cas, le mot traduction désigne une conception particulière et une pratique spécifique : traduction d'un discours, sous-titrage d'une pièce de théâtre filmée, adaptation d'un site web.
En accord avec la définition de la traduction proposée par Edmond Cary, « la traduction est une opération qui cherche à établir des équivalences entre deux textes exprimés en deux langues différentes, ces équivalences étant toujours et nécessairement fonction de la nature des deux textes, de leur destination, des rapports existant entre la culture des deux peuples, leur climat moral, intellectuel, affectif, fonction de toutes les contingences propres à l'époque et au lieu de départ et d'arrivée. »
Selon le dictionnaire de linguistique : « Traduire, c'est énoncer dans une autre langue(ou langue cible) ce qui a été énoncé dans une langue source, en conservant les équivalences sémantiques et stylistiques.