3. Distinction : langue commune VS langue de spécialité

Parler de la langue de spécialité nous amène à parler de la langue commune dont elle constitue l’utilisation particulière. C’est pourquoi il est important de mettre tout d’abord en évidence la notion de langue commune pour mieux saisir celle de langue de spécialité.

Dubois fait la distinction entre trois notions : langue commune, langue de spécialité et langue générale. Ainsi pour lui la langue commune désigne la langue non marquée, non spécialisée, autrement dit, la langue de l’usage quotidien. Quant à la langue générale, elle désigne l’ensemble de la langue commune et de la langue de spécialité.

Chez Rondeau (1983), les langues de spécialités sont surtout liées au lexique. L’auteur souligne la perméabilité des frontières entre langue commune et langue de spécialité d’une part ; et entre langue de spécialité et différents domaines d’autre part. Il y a donc mobilité des termes entre les deux langues. Ainsi, le mot acquiert un sens plus large dès qu’il passe d’une langue de spécialité à une langue commune et il devient monosémique dès lors que l’on va dans le sens inverse. Il y a donc l’idée d’étirement du sens  (Mackintosh, 200 : 199) (Pavel, 1991 : 44). A cet effet, d’un point de vue sémantique, les langues de spécialités sont marquées par la monosémie qui est primordiale en terminologie notamment quand on se situe dans les sphères du vocabulaire ultra-spécialisé. Cependant, l’emploi des termes dans le discours les expose à la polysémie. « Lorsqu’il est repris par la langue générale, un terme adopte un sens plus large que lorsqu’il est confiné à un domaine spécialisé » (Meyer et Mackintosh, 2000 :199). L’univocité terme-notion à laquelle les terminologues sont attachés est rarement respectée dans le discours commun. La mobilité des termes se ferait donc au prix d’une altération de sens. Cette altération se produit avec un gain de signification quand on va de la langue de spécialité à la langue commune (il y a métaphore ou glissement de sens et interprétations). Elle se produit avec réduction de significations en passant de la langue commune à la langue de spécialité. « Les mots de la langue commune acquièrent un sens restreint ou spécialisé en passant dans l’usage d’un groupe particulier, et inversement, ils élargissent leur sens, deviennent plus généraux lorsqu’ils sont adoptés par un cercle plus étendu, de sorte que la généralité d’un sens est souvent proportionnelle à l’étendue du groupe qui l’emploie » (Pavel, 1991 :44).

Il y a aussi la question du nombre de locuteurs qui diminue à mesure que l’on va vers une langue de spécialité (Rondeau, 1983 : 24). En effet, le nombre de locuteurs diminue à mesure que l’on va vers un domaine de spécialité mais il n’y a pas de frontière étanche entre la langue commune et la langue de spécialité. C’est pourquoi les chercheurs introduisent les notions d’initiés et de zone mitoyenne pour faire allusion à cette continuité. Le terme initié est utilisé par les chercheurs notamment quand ils parlent des domaines ultra-spécialisés. En effet, comme le dit Lerat, le vocabulaire ultra-spécialisé ou jargon constitue une barrière entre les initiés et les non-initiés du domaine. Les non-initiés ont accès à la zone mitoyenne des langues de spécialité (Rondeau, 1983), autrement dit à la zone centrale située à l’intermédiaire de la langue commune et de la langue de spécialité dans laquelle on fait appel à une langue de vulgarisation. Il existe donc des degrés de spécialisation dans les langues de spécialité. Entre langue commune et langue de spécialité, il y a une différence de degré (Cabré, 1998 : 112).

De ces différentes définitions découlent deux grandes différences entre langue commune et langue de spécialité : la situation d’utilisation et le type d’information.

Cabré distingue les langues de spécialité principalement au niveau de trois aspects :

  • Les langues de spécialité sont constituées de règles et d’unités spécifiques. Mais dans ce cas se pose la question de la frontière entre les deux.
  • Une langue de spécialité est une simple variante de la langue générale, voire une simple variante lexicale. Conception restrictive dans la mesure où le vocabulaire à lui seul ne peut suffire à décrire une langue de spécialité.
  • La langue de spécialité est un sous-ensemble de la langue générale. Elle entretient une relation d’inclusion avec la langue générale et une relation d’intersection avec la langue commune.