Généralités sur les langues de spécialité

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Cours: Initiation aux Langues de Spécialité
Livre: Généralités sur les langues de spécialité
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Date: Saturday 4 May 2024, 21:41

Description

Vous trouverez dans ce chapitre la définition de la notion de langue de spécialité et sa distinction par rapport aux autres notions

1. Introduction

Le monde d’aujourd’hui est soumis à de profondes mutations engendrées par la fulgurante avancée scientifique et technique marquée notamment par le développement des moyens de communications. La planète est devenue comme un petit village où les gens sont amenés à faire des échanges. Dans ce cadre, les besoins en matière de langue deviennent de plus en plus grandissants. Les nations du monde se trouvent dès lors contrainte de faciliter la communication par l’apprentissage des langues notamment étrangères  de manière à favoriser les échanges économiques, politiques, ….  Désormais, l’institution scolaire et universitaire est devenue le terrain privilégié pour la mis en œuvre de méthodologies d’enseignement des langues. Pour ce faire, pédagogues et didacticiens œuvrent dans la perspective de promouvoir les méthodologies d’enseignement apprentissages des langues répondant aux besoins du terrain. Un champ de recherche de recherche commence donc à connaitre un engouement particulier : la didactique des langues.

Traditionnellement, la problématique de l’enseignement des langues en didactique portait sur la scolarisation des enfants. Diverses théories et méthodologies se sont succédé pour pallier aux difficultés des enfants scolarisés. La diversité des publics et des besoins en matière de langue conduit les chercheurs et les didacticiens à élaborer des méthodologies adaptées suivant les besoins de chaque public.  C’est pourquoi l’enseignement du français à déjà connu diverses appellations suivant les contextes : FLM, FLS, FLE. En effet, le statut occupé par la langue au sein d’un pays est en relation étroite avec les démarches à entreprendre pour l’enseigner. Les locuteurs ayant le français pour langue maternelle, ceux qui l’ont comme langue seconde et ceux qui l’ont comme langue étrangère ne manifestent en réalité pas les mêmes besoins en matière de langue. Pour les deux premiers cas, le français est utilisé comme moyen de connaissance, autrement dit, la langue est utilisée pour l’apprentissage des connaissances relevant de différents domaines : mathématiques, histoire, médecine, physique, ….

A cette problématique (l’enseignement du français pour les enfants) s’ajoute, à  partir des années 50, celle de l’arrivée d’un nouveau public adulte exprimant des besoins particuliers en matière de langue. Il s’agit notamment des étudiants spécialisés dans un domaine scientifique et manifestant un besoin de renforcement linguistique de manière à faciliter l’apprentissage des connaissances de spécialité. Il s’agit dès lors de développer une compétence linguistique dans un domaine précis de connaissance. Le français général n’arrive plus à satisfaire les besoins d’un public en quête d’apprentissage ciblé et en étroite relation avec la spécialité. L’enseignement du français va alors connaitre un bouleversement méthodologique. C’est dans cette perspective que s’inscrivent les langues de spécialité qui ont connu beaucoup d’évolution dans le but de remédier aux difficultés de ce nouveau public. Diverses conceptions ont alors vu le jour et se sont succédé afin de remédier aux difficultés d’apprentissage des langues de ce public adulte.

2. Définition : Qu’est-ce qu’une langue de spécialité ?

Il est difficile de cerner avec précision la notion de « langue de spécialité » d’autant plus que les chercheurs n’arrivent pas à s’entendre sur la définition, voire sur l’appellation à donner. Les appellations sont, en effet, multiples et variées suivant les chercheurs : langue de spécialité, de langues de spécialité, langues spécialisées, vocabulaire scientifique, …. Il n’y a, à cet effet, pas de consensus entre les chercheurs ni sur l’appellation ni sur la définition.

Galisson et Coste définissent la langue de spécialité de manière générale comme : « une expression générique pour désigner les langues utilisées dans les situations de communication qui impliquent la transmission d’une information relevant d’un champ d’expérience particulier » (1976, 511)

Pour Lerat : «  c’est une langue naturelle considérée en tant que vecteur de connaissances spécialisées » (Lerat, 1995 : 20)

Dubois, quant à lui, la définit comme « un sous-système linguistique tel qu’il rassemble des spécificités linguistiques d’un domaine particulier » (Dubois, 2001 : 40).

Cabré, quant à elle, insiste sur l’aspect terminologique des langues de spécialité : « Les langues de spécialité sont les instruments de base de la communication entre spécialistes. La terminologie est l’aspect le plus important qui différencie non seulement les langues de spécialité de la langue générale, mais également les différentes langues de spécialité. » (Cabre, 1998: 90)

Ces différentes définitions reflètent les diverses perspectives adoptées par les chercheurs pour donner une définition à la notion de langue de spécialité. Elles témoignent donc de la difficulté à donner une définition consensuelle. Cependant, elles se rejoignent sur deux points principaux, à savoir le domaine de spécialité et les spécificités linguistiques ou discursives.

Dans sa description du CECR, Michel PETIT (2006) consacre la grande partie de son travail à l’étude de la conception des langues de spécialité dans le CECR. L’auteur pense que : « les spécialistes savent bien que l’appellation commune de langue de spécialité désigne de façon commode mais imprécise un ensemble assez hétérogène de réalité de nature différente, chacun privilégiant, en fonction de son expérience et de ses intérêts professionnels d’enseignement, et/ou de recherche, tel ou tel point de vue. » (Petit, 2006, 03). L’auteur ajoute : « Constitue une langue de spécialité tout ensemble d’objets linguistiques et/ou langagiers défini par son rapport à une «spécialité ». Le français des affaires, le français scientifique et technique, sont ainsi du français de spécialité ; l’anglais juridique, l’anglais médical, de l’anglais de spécialité, etc. » (Petit, 2006, 03),

Selon la même source, l’accent peut être mis, selon les cas1, sur un ou plusieurs des aspects suivants :

  • terminologie du domaine de spécialité ;
  • particularités de mise en œuvre de telle ou telle catégorie ou structure linguistique dans le discours du domaine (sémantico-syntaxe du groupe nominal ; expression de la modalité ; etc.)
  • caractéristiques des genres discursifs ou textuels représentatifs du domaine ; etc.

D’une manière générale, on peut donc dire que la langue de spécialité n’est pas une langue à part mais elle est l’utilisation particulière d’une langue naturelle ou de la langue commune comme vecteur de connaissances spécialisées. Mais dans ce cas quelle relation existe entre langue commune et langue de spécialité ?

3. Distinction : langue commune VS langue de spécialité

Parler de la langue de spécialité nous amène à parler de la langue commune dont elle constitue l’utilisation particulière. C’est pourquoi il est important de mettre tout d’abord en évidence la notion de langue commune pour mieux saisir celle de langue de spécialité.

Dubois fait la distinction entre trois notions : langue commune, langue de spécialité et langue générale. Ainsi pour lui la langue commune désigne la langue non marquée, non spécialisée, autrement dit, la langue de l’usage quotidien. Quant à la langue générale, elle désigne l’ensemble de la langue commune et de la langue de spécialité.

Chez Rondeau (1983), les langues de spécialités sont surtout liées au lexique. L’auteur souligne la perméabilité des frontières entre langue commune et langue de spécialité d’une part ; et entre langue de spécialité et différents domaines d’autre part. Il y a donc mobilité des termes entre les deux langues. Ainsi, le mot acquiert un sens plus large dès qu’il passe d’une langue de spécialité à une langue commune et il devient monosémique dès lors que l’on va dans le sens inverse. Il y a donc l’idée d’étirement du sens  (Mackintosh, 200 : 199) (Pavel, 1991 : 44). A cet effet, d’un point de vue sémantique, les langues de spécialités sont marquées par la monosémie qui est primordiale en terminologie notamment quand on se situe dans les sphères du vocabulaire ultra-spécialisé. Cependant, l’emploi des termes dans le discours les expose à la polysémie. « Lorsqu’il est repris par la langue générale, un terme adopte un sens plus large que lorsqu’il est confiné à un domaine spécialisé » (Meyer et Mackintosh, 2000 :199). L’univocité terme-notion à laquelle les terminologues sont attachés est rarement respectée dans le discours commun. La mobilité des termes se ferait donc au prix d’une altération de sens. Cette altération se produit avec un gain de signification quand on va de la langue de spécialité à la langue commune (il y a métaphore ou glissement de sens et interprétations). Elle se produit avec réduction de significations en passant de la langue commune à la langue de spécialité. « Les mots de la langue commune acquièrent un sens restreint ou spécialisé en passant dans l’usage d’un groupe particulier, et inversement, ils élargissent leur sens, deviennent plus généraux lorsqu’ils sont adoptés par un cercle plus étendu, de sorte que la généralité d’un sens est souvent proportionnelle à l’étendue du groupe qui l’emploie » (Pavel, 1991 :44).

Il y a aussi la question du nombre de locuteurs qui diminue à mesure que l’on va vers une langue de spécialité (Rondeau, 1983 : 24). En effet, le nombre de locuteurs diminue à mesure que l’on va vers un domaine de spécialité mais il n’y a pas de frontière étanche entre la langue commune et la langue de spécialité. C’est pourquoi les chercheurs introduisent les notions d’initiés et de zone mitoyenne pour faire allusion à cette continuité. Le terme initié est utilisé par les chercheurs notamment quand ils parlent des domaines ultra-spécialisés. En effet, comme le dit Lerat, le vocabulaire ultra-spécialisé ou jargon constitue une barrière entre les initiés et les non-initiés du domaine. Les non-initiés ont accès à la zone mitoyenne des langues de spécialité (Rondeau, 1983), autrement dit à la zone centrale située à l’intermédiaire de la langue commune et de la langue de spécialité dans laquelle on fait appel à une langue de vulgarisation. Il existe donc des degrés de spécialisation dans les langues de spécialité. Entre langue commune et langue de spécialité, il y a une différence de degré (Cabré, 1998 : 112).

De ces différentes définitions découlent deux grandes différences entre langue commune et langue de spécialité : la situation d’utilisation et le type d’information.

Cabré distingue les langues de spécialité principalement au niveau de trois aspects :

  • Les langues de spécialité sont constituées de règles et d’unités spécifiques. Mais dans ce cas se pose la question de la frontière entre les deux.
  • Une langue de spécialité est une simple variante de la langue générale, voire une simple variante lexicale. Conception restrictive dans la mesure où le vocabulaire à lui seul ne peut suffire à décrire une langue de spécialité.
  • La langue de spécialité est un sous-ensemble de la langue générale. Elle entretient une relation d’inclusion avec la langue générale et une relation d’intersection avec la langue commune.