4. Bourdieu et Passeron : l’école comme moyen de reproduction des structures sociales

« En déléguant toujours plus complètement le pouvoir de sélection à l’institution scolaire, les classes privilégiées peuvent paraître abdiquer au profit d’une instance parfaitement neutre le pouvoir de transmettre le pouvoir d’une génération à l’autre et renoncer ainsi au privilège arbitraire de la transmission héréditaire des privilèges. Mais, par ses sentences formellement irréprochables qui servent toujours objectivement les classes dominantes, puisqu’elles ne sacrifient jamais les intérêts techniques de ces classes qu’au profit de leurs intérêts sociaux, l’Ecole peut mieux que jamais et, en tout cas, de la seule manière concevable dans une société se réclamant d’idéologies démocratiques, contribuer à la reproduction de l’ordre établi, puisqu’elle réussit mieux que jamais à dissimuler la fonction dont elle s’acquitte. Loin d’être incompatible avec la reproduction de la structure des rapports de classe, la mobilité des individus peut concourir à la conservation de ces rapports, en garantissant la stabilité sociale par la sélection contrôlée d’un nombre limité d’individus, d’ailleurs modifiés par et pour l’ascension individuelle, et en donnant par là sa crédibilité à l’idéologie de la mobilité sociale qui trouve sa forme accomplie dans l’idéologie scolaire de l’Ecole libératrice. »

(La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Minuit, 1970 p.205-206)

Ce texte illustre le passage d’une théorie de la reproduction des positions à celle des rapports sociaux, c’est-à-dire des structures. En définitive, celle-ci n’est plus visible que pour dissimuler celle-là. C’est donc la seconde, la moins visible, qui selon une certaine acceptation de l’épistémologie bachelardienne (il n’y a de science que du caché) serait le véritable objet de la science.

Pour Bourdieu et Passeron (1970) la reproduction qui caractérise la société française est imputée au système scolaire, qui loin d’assurer l’égalité des chances et de favoriser la mobilité sociale, fonctionnerait comme un dispositif de transformation de l’héritage social en statuts socio-professionnels. L’école reproduit la structure sociale parce qu’elle traduit les inégalités sociales de départ en inégalités scolaires. De manière complémentaire, chez Baudelot et Establet (1971) le résultat est atteint parce que les inégalités scolaires se traduisent en inégalités sociales .

Pour l’une ou l’autre thèse, l’école est conçue comme l’instrument de la reproduction sociale, c’est-à-dire de la translation intergénérationnelle des inégalités sociales, et par suite, de la structure sociale.