Cours-Interférences

1. Les langues en contact (Interférence)

Il y aurait, à la surface du globe, entre 6 000 et 7000 langues différentes et environ 200 pays (c’est-à-dire, théoriquement environ 30 langues par pays).

Ce plurilinguisme, engendre inévitablement des situations de contact de langues, que ce soit chez les individus en tant que tels (en état de bilinguisme ou d’acquisition d’une autre langue),  ou à l’échelle de la communauté. Ce contact des langues est de nos jours favorisé par la mondialisation, les échanges instantanés entre les individus des quatre coins du monde, les médias, les réseaux sociaux, les voyages. Un kabyle ou un bédouin qui pouvaient, il y a une quarantaine d’années, passer toute leur vie (l’un dans sa montagne, l’autre dans ses steppes), sans contact obligatoire avec une langue étrangère à leur langue maternelle, sont aujourd’hui inondés de chaines de télé, de radio, leurs enfants scolarisés, etc., introduits malgré eux dans la « modernité ». Il ne sera forcément pas sans répercussions sur les performances linguistiques des locuteurs. Ses résultats (emprunts, interférences, langues approximatives, mélanges de langues, alternances codiques, diglossie et conflits linguistiques, etc.) sont parmi les premiers objets d’étude de la sociolinguistique (in Calvet, La Sociolinguistique).

Interférences

On dit qu'il y a interférence quand un sujet bilingue utilise dans une langue-cible A un trait phonétique, morphologique, lexical ou syntaxique caractéristique de la langue B. L’emprunt et le calque sont souvent dus, a l’origine à des interférences. Mais l'interférence reste individuelle et involontaire, alors que l'emprunt et le calque sont en cours d’intégration ou intégrés dans la langue A. (Dictionnaire de Linguistique, Larousse, 2002 ). 

Pour William Mackey (in Bilinguisme et contact des langues, Éditions Klincksieck, Paris, 1976), par interférence, on entend l’utilisation que fait un sujet parlant ou écrivant une langue, de termes appartenant à une autre langue ou à un autre dialecte ; ce phénomène relève du discours. Par intégration, l’incorporation dans une langue ou un dialecte d’éléments appartenant à une autre langue ; ce phénomène relève de la langue. Aussi, selon Mackey, l’incidence de l’interférence influe sur le degré de vacillation, et conséquemment sur la rapidité d’évolution d’une ou plusieurs langues ou dialectes. Si bien que les étapes d’une évolution qui prendrait plusieurs générations dans un contexte unilingue, peuvent se réaliser en une seule génération sous l’impact du bilinguisme.

Pour Uriel Weinreich (in Languages in contact, Mouton, La Haye, 1953) « Le mot interférence désigne un remaniement de structures qui résulte de l’introduction d’éléments étrangers dans les domaines les plus fortement structurés de la langue, comme l’ensemble du système phonologique, une grande partie de la morphologie et de la syntaxe et certains domaines du vocabulaire (parenté, couleur, temps, etc.). »

Types d'interférences

On peut distinguer trois types d’interférences : les interférences phoniques, les interférences syntaxiques et les interférences lexicales.

- Les interférences phoniques : L’interférence est une adaptation, souvent inconsciente, d’un son au système phonétique d’une langue en parlant une autre langue. Par exemple, la différence importante des systèmes phonologiques de l’arabe et de l’amazighe d’avec celui du français, notamment au niveau des voyelles, engendre beaucoup d’interférences des premières dans l’usage de la seconde dans le discours des Maghrébins. On entend souvent « huit », « nuit » et surtout « juin », articulés [wit], [nwi] et [ӡwè]. La semi-voyelle antérieure labialisée [Ч] du français n’étant pas attestée en amazighe et en arabe. On entend aussi des sons attestés dans les deux premières langues comme des variantes phonétiques contextuelles articulés comme leurs correspondants phonémiques : [e] articulé comme un [i] (ou inversement), [o] et [-] comme un [u] et surtout [ɛ] comme un [i] ou [e] (ce que nous faisons nous-mêmes parfois) : télé articulé [tile] ou [tili] ; mot, politique, sérieux articulés [mu], [pulitik], [sirju] ; mais, avec, articulés [mi/me] [avik/avek], etc. Même l’amazighe et l’arabe, qui ont des systèmes phonologiques relativement proches, connaissent des interférences lorsque les sons n’ont pas la même coloration dans les deux langues. Un kabylophone prononce souvent le ع (عين)  arabe, en parlant cette langue, comme une sonore faible, à l’image des autres sonores du kabyle, alors que cette consonne est forte en arabe. Un arabophone prononcerait [acal/akal] akal « terre, sol » en parlant kabyle, alors que la palatale sourde est fricative dans ce contexte [açal], parce que cette consonne n’est pas attestée dans sa langue maternelle. (Voir A. Berkai, « Les interférences de l’arabe et du français avec l’amazighe en Algérie : cas du kabyle à la radio Soummam de Béjaïa », Asinag, 12, 2017).

Les interférences syntaxiques : elles consistent à organiser la structure d’une phrase dans une langue B selon celle de la première langue A : ainsi un italianophone, sur le modèle courant de phrases comme viene la pioggia (« la pluie arrive ») ou suona il telefono (« le téléphone sonne »), pourra-t-il produire en français des phrases comme sonne le téléphone. (in Calvet, La Sociolinguistique, 8ème édition mise à jour). Pour Berkaï (sus-cité) L’interférence consiste ici à transposer dans une langue, à l’oral ou à l’écrit, un ordre de succession des unités caractéristique d’une autre langue. Il n’est pas rare d’entendre un arabophone ne maîtrisant pas bien le kabyle dire : kečč aɣyul « tu es un âne (litt. toi âne) », au lieu de kečč d aɣyul, oubliant la particule de prédication de l’énoncé nominal en kabyle équivalant dans ce contexte à la copule « être » en français.

Les interférences sémantiques : dont les plus simples sont celles qui consistent à tomber dans le piège des faux amis, lorsqu’un Anglais par exemple utilise en français le mot instance avec le sens de « exemple » qu’il a dans sa langue. On peut aussi rencontrer des traductions mot à mot: « estar direito » chez les Portugais des États-Unis traduisant directement l’anglais to be right, « avoir raison ». Ou encore des créations dans une langue sur le modèle de l’autre : le français du Québec regorge d’exemples de ce type, comme vivoir pour « salon » (anglais living room). Mais l’interférence lexicale est surtout fréquente lorsque les deux langues n’organisent pas de la même façon l’expérience vécue. On trouve ainsi en français d’Afrique un usage du verbe gagner avec un sens très large (« gagner » mais aussi « avoir », « posséder ») sur le modèle de certaines langues africaines qui n’ont qu’un verbe pour ces notions. Ainsi, une phrase comme « Ma femme a gagné petit » signifiera qu’elle a eu un enfant et non pas qu’elle l’a gagné dans une quelconque loterie…

Modifié le: Tuesday 3 March 2020, 14:44