1. Approches et modèles de la traduction

Il existe de nombreuses approches explicatives de la traduction. Chaque approche se caractérise, en règle générale, par une terminologie propre, des catégories spécifiques et une méthodologie distincte. L'application d'une approche particulière à la traduction peut être qualifiée en fonction du trait dominant : par exemple, l'approche linguistique ou sémiotique de la traduction, l'approche sociologique ou sociolinguistique, l'approche philosophique, culturelle ou idéologique du phénomène traductionnel.
On peut aussi faire des distinctions au sein d'une même approche. Par exemple, l'approche linguistique se caractérise par le fait qu'elle envisage la traduction avant tout comme une opération d'essence verbale. A l'intérieur de cette approche, il est possible de distinguer le « modèle structuraliste » qui étudie les relations entre systèmes linguistiques, le « modèle textuel » qui s'intéresse aux situations communicatives dans les textes, le « modèle psycholinguistique » ou « cognitiviste » qui étudie le processus mental de la traduction, etc.
Ces « modèles » délimitent le domaine de la traduction de façon différente, et chacun met en relief un aspect particulier de l'activité générale. Malgré leurs divergences théoriques et méthodologiques, ces « modèles » doivent être perçus comme tout è fait complémentaires. Leur assemblage ne fait qu'enrichir la traductologie.
Nous présenteront, dans ce qui suit, les approches les plus importantes de la traduction.
1. Les approches linguistiques :

Le développement de la traductologie au cours du XXe siècle est pratiquement indissociable de celui de la linguistique. En effet, la traduction a beaucoup intéressé les linguistes qui lui ont appliqué différentes approches théoriques qui se sont succédées au cours du siècle : le structuralisme, le générativisme, fonctionnalisme, linguistique formelle, énonciative, textuelle, sociolinguistique, etc. chaque est parti de ses propres concepts pour appréhender le phénomène traductionnel malgré sa complexité. En revanche, certaines approches ont été plus convaincantes que d'autres pace qu'elles ont traité des aspects essentiels de l'activité traductionnelle. Il faut signaler aussi le rôle moteur qu'a joué la linguistique dans le développement de la traductologie malgré les différences qui caractérisent ces deux disciplines jumelles. Garnier (1985 : 33) souligne les contributions de la linguistique dans la traduction : « toute opération de traduction comporte, à la base, une séries d'analyses et d'opérations qui relèvent spécifiquement de la linguistique ».
Les approches linguistiques sont les suivantes :

1.1 L'approche « stylistique comparée »

La Stylistique comparée du français et de l'anglais (1958) de Vinay et Darbelnet est l'un des ouvrages qui ont marqué les études en traduction. Dans cet ouvrage, les deux auteurs revendiquent le rattachement de la traductologie à la linguistique. L'objectif des deux auteurs est de « dégager une théorie de la traduction reposant à la fois sur la structure linguistique et sur la psychologie des sujets parlants » (Idem, 1958 : 26). A partir d'exemples, ils procèdent à l'étude des attitudes mentales, sociales et culturelles qui donnent lieu à des procédés de traduction. Afin d'établir ces procédés, les deux auteurs procèdent à l'application de critères qui leur permettent de distinguer sept procédés techniques(l'emprunt, le calque, la traduction littérale, la transposition, la modulation, l'équivalence, et l'adaptation).

1.2 L'approche « linguistique théorique » :

Dans les problèmes théoriques de la traduction (1963), Georges Mounin consacre la linguistique comme cadre conceptuel de référence pour la traduction. Le point de départ de sa réflexion est que la traduction est « un contact de langues, un fait de bilinguisme » (Mounin 1963 : 10). Son souci premier était aussi la scientificité de la discipline.
L'objectif de Mounin est de faire accéder la traductologie au rang de « science » mais il ne voit pas d'autres possibilités que de passer par la linguistique. C'est pourquoi « il revendique pour l'étude scientifique de la traduction le droit de devenir une branche de la linguistique » (Mounin 1976 : 273).
La question de l'intraduisibilité occupe une place importante dans la réflexion de Mounin. Selon lui, « la traduction n'est pas toujours possible » (Idem 1963 : 273).
1.3 L'approche « linguistique appliquée » :

La linguistique appliquée est une branche de la linguistique qui s'intéresse davantage aux applications pratiques de la langue qu'aux théories générales sur le langage. Pendant longtemps, la traduction a été perçue comme une chasse gardée de la linguistique appliquée. Dans cette approche, représentée notamment par Catford (1965), l'objectif est d'étudier les « processus de traduction » en ayant recours à la linguistique appliquée tout en rattachant l'étude de la traductologie à la linguistique comparée.

1.4 L'approche « sociolinguistique »

La sociolinguistique étudie la langue dans son contexte social à partir du langage concret. Apparue dans les années 1960 aux Etats-Unis sous l'impulsion de Labov, Gumperz et Hymes, elle bénéficié de l'apport de la sociologie pour l'étude du langage. Parmi ses centres d'intérêt, on trouve les différences socioculturelles et l'analyses des interactions, mais aussi les politiques linguistiques et l'économie de la traduction ; bref, tout ce qui a trait au traducteur et à l'activité de traduction dans son contexte social.
Cette approche, représentée par Pergnier (1978), souligne l'intérêt et les limites de l'approche linguistique.

2. Les approches textuelles :

L'approche textuelle part du postulat que tout discours peut être « mis en discours ». Qu'il s'agisse d'une interaction orale ou écrite, le résultat est le même : c'est un « texte » qui possède des caractéristiques propres et un sens précis. Il en découle que toute traduction est censée être précédée d'une analyse textuelle, au moins au niveau typologique (le type, la fonction, la finalité, le sens, etc.), pour assurer la validité de la compréhension – et donc de l'interprétation- qui s'ensuit.
L'analyse du discours offre un cadre d'étude plus rigoureux pour aborder les problèmes de la traduction. Du point de vue de la linguistique, le terme « discours » recouvre non seulement la structure et l'organisation des productions langagières, les relations et les différences entre les séquences, mais aussi l'interprétation de ces séquences et la dimension sociale des interactions.
Du point de vue traductologique, l'analyse du discours permet en effet de se focaliser sur le « sens » en abordant deux niveaux principaux : d'une part, le niveau du « genre », c'est-à-dire des cadres d'expression linguistique et littéraire propres à une langue (le genre « roman policier », « lettre de motivation », etc.) et d'autre part, le niveau du « texte », c'est-à-dire des unités rhétoriques composées de séquences reliées et complémentaires (phrases, paragraphes).
Il faut signaler qu'il existe des phénomènes textuels que traducteur doit savoir détecter pour pouvoir traduire de façon pertinente. Le plus marquant de ces phénomènes est l'intertextualité qui concerne les liens implicites et explicites entre les textes, telles les reprises et les citations. Le traducteur doit savoir reconnaître ces liens afin de ne pas traduire prosaïquement, et ce notamment en poésie. Les différents types de discours (écrits et oraux) renferment également des modes d'expression de la sociabilité qui diffèrent d'un groupe humain à l'autre. Il faut signaler aussi que les discours révèlent des visions du monde diverses et variées selon les groupes sociaux et locuteurs qui en sont issus. Dans cette perspective, la sensibilité sociolinguistique du traducteur est primordiale, en particulier concernant des phénomènes aussi récurrents que les formules de politesse ou l'expression du respect selon les contextes et les cultures.
Dans cette approche, Larose (1989) propose un tableau récapitulatif qui illustre les différents niveaux d'analyse du texte à traduire. Ce tableau aborde les conditions « préalables » (connaissance de la langue et de la culture), les conditions d' « énonciation », la « macrostructure » et « microstructure » du texte.

3. Les approches sémiotiques :

La sémiotique est définie comme l'étude des signes et des systèmes de communication. Elle s'intéresse aux traits généraux qui caractérisent ces systèmes. Pour Peirce, le processus de signification et le résultat de la coopération de trois éléments : un signe, son objet et son interprétant. Aussi, du point de vue sémiotique, toute traduction est envisagée comme une forme d'interprétation qui porte sur des textes ayant un contenu encyclopédique différent et contexte socioculturel particulier.
En raison des différences intrinsèques aux signes, aux contenus encyclopédiques et aux contextes socioculturels, les sémioticiens ont beaucoup discuté la question de la traductibilité, c'est-à-dire la possibilité de traduire. Pour eux, en théorie, la traduction est impossible pour un raison simple : les langues possèdent des structures différentes et organisent le monde de l'expérience de diverses manières qui ne se recoupent jamais. Chaque langue forme un système de référence qui empêche l'établissement de véritables équivalences.
C'est en comparant les systèmes linguistiques que l'on se rend compte de ces difficultés. Il est clair que le problème se pose davantage au niveau des langues en général que des textes en particulier. Il est à souligner que l'approche sémiotique de la traduction s'avère très utile dans affiches publicitaires, bandes dessinées, émissions télévisées, sites web, etc.
Dans la version française de son essai sur la traduction (Dire presque la même chose), Umberto Eco (2007) part de son expérience personnelle pour expliquer en quoi la traduction était une « négociation » permanente sur tous les plans. Pour lui, il ne s'agit pas simplement de passer d'un type de texte dans une langue au même genre de texte dans une autre langue, mais véritablement de traduire « monde à monde ». dans cette négociation le traducteur n'est pas un « peseur de mots » mais un « peseur d'âmes ». Sa connaissance des deux mondes parallèles de la traduction lui permet, avec des mots différents de « dire presque la même chose ».
4. Les approches communicationnelles :

Les approches communicationnelles sont nées de la focalisation des linguistes sur la fonction du langage humain. Dès le début du XXe siècle, Saussure distinguait la « parole » que nous produisons pour communiquer, de la « langue » qui est un ensemble de mots présents dans le cerveau humain. Dans cette optique, la communication est analysée en termes d' « encodage » et de décodage portant sur un message particulier. Cette conception simpliste et binaire fait que le traducteur est perçu comme un simple « décodeur » du message original et un « ré-encodeur » du message final.
Parmi les approches communicationnelles qui ont largement contribué au développement des études traductologiques, nous citons :
4.1. L'approche « communication et de discours » :

La prise en compte des fonctions du langage décrites par Jacobson et l'étude du discours ont été à l'origine du développement de plusieurs courants communicationnels qui vont être mis à profit pour enrichir la réflexion traductologique.

4.2. L'approche « pragmatique » :

La pragmatique est l'étude du langage du point de vue de sa « praxis », c'est-à-dire des finalités et des fonctions de son utilisation. Son champs d'investigation privilégie concerne des actes de langage, c'est-à-dire les expressions impliquant une action telles que les ordres, les requêtes, les excuses ou encore les sentiments ; bref, toute expression langagière qui produit un effet.
L'intérêt principal de l'approche pragmatique (développée notamment par Austin et Searle) pour la traductologie est qu'elle permet de mettre en relief les éléments les plus saillants de la communication dans un texte ou dans un discours particulier. Grace à cette approche, le traducteur acquiert une conscience de l'importance du sens perçu par l'interlocuteur, qui peut être différent du sens linguistique apparent. De plus, Grice (1975) a démontré que la communication langagière pouvait contenir un implicite discursif susceptible d'influer sur le sens du message transmis au sein d'une même langue. Aussi, le traducteur doit non seulement déceler ce sens implicite dans la langue source, mais aussi se poser la question de son explication ou transposition dans la langue cible.
En plus des approches citées ci-dessus, nous signalons l'existence d'autres approches telles l'approche herméneutique (comprendre, expliquer), idéologique (ensemble d'idées orientées vers l'action publique), poétologique (art littéraire), cognitive (processus mentaux).