Les différents sèmes d’un mot               

Les sèmes dénotatifs

Nous avons vu qu’à un signifiant était lié un contenu sémantique appelé signifié. Ce signifié, comme pour le phonème, est constitué de différents traits distinctifs qu’on appelle sèmes.

Voici, par exemple, quelques sèmes du signifié « hirondelle » : {animal, oiseau, migrateur, queue fourchue, ailes fines et longues}. Ces sèmes sont plus ou moins spécifiques. Il va de soi que le sème {animal} est plus général que le sème {queue fourchue}. On dira que le premier sème est un sème générique, en tant qu’il renseigne sur la catégorie générale à laquelle appartient l’ «hirondelle », alors que le second est un sème spécifique, car plus caractéristique de l’ « hirondelle ». La différenciation générique/spécifique n’a de sens que si l’on compare plusieurs signifiés. Dans l’ensemble (« hirondelle », « moineau », « merle », « pie », « rouge gorge »), {animal} et {oiseau} seront des sèmes génériques, car communs à tous les éléments de l’ensemble. En revanche, dans l’ensemble (« hirondelle », « saumon », « grenouille », « vache »,  « serpent »), seul le sème {animal} sera générique.

On peut ainsi étudier différents signifiés ayant le même sème générique. Sous la forme d’un tableau, nous allons comparer les différents sèmes de l’ensemble {« abricot », « orange », « amende verte », « pêche »,  « poire »}.

                          Signifiés

Sèmes

Abricot

Orage

Amande verte

Pêche

Poire

Fruit

 

 

 

 

 

Forme ronde

 

 

 

 

 

Forme avec fente

 

 

 

 

 

Couleur orange

 

 

 

 

 

Noyau

 

 

 

 

 

Amande non comestible

 

 

 

 

 

Peau qu’on n’ôte pas

 

 

 

 

 

Les sèmes génériques et spécifiques sont des sèmes dénotatifs : ils appartiennent à la définition objective, relativement stable et socialement généralisée du signifié. 

Les sèmes connotatifs

Mais il existe également des sèmes connotatifs, plus complexes à définir car plus instables, plus subjectifs, qui, comme l’indique le préfixe con- (du latin cum=avec), s’ajoutent aux sèmes dénotatifs et révèlent principalement ce que suggère le mot, ce à quoi on l’associe. Par exemple, « blanc » évoque, connote la neige.

Les sèmes connotatifs sont plus ou moins individuels, subjectifs. Certaines connotations sont devenues si courantes qu’elles sont attestées par les dictionnaires. C’est le cas des comparaisons du type blanc comme neige, rouge comme une pivoine, têtu comme une mule, etc. où l’adjectif a pour sème connotatif le comparant. C’est –entre autres raisons – parce qu’au signifié « concierge », étaient associés les sèmes connotatifs {commérage} et {curiosité} qu’on a préféré le signifiant gardien, moins connoté. Il existe également des sèmes connotatifs contextuels qui, à force d’être utilisés, tendent à être dénotatifs. Ainsi, dans une phrase telle que Des voleurs ont visité mon appartement, « visiter » prend pour sème connotatif {cambrioler} à cause du substantif voleurs.

Une même personne utilisera divers registres de langue suivant les circonstances. De même, un sème connotatif peut être considéré comme émanant de l’imagination d’une personne, alors qu’il s’agit d’une référence culturelle dont le locuteur n’a plus conscience.

Dans le tableau suivant, nous notons ce que peuvent évoquer  « le corbeau » et « le merle » pour un  professeur de lettres modernes.

Le corbeau

Le merle

Noir

Cri : croassement

Mort

Tristesse

Désolation

Les cadavres

Les champs de bataille

Un oiseau de mauvais augure

La plainte

La solitude

La bêtise

Le brillant de la plume

Une atmosphère sombre

L’œil perçant

Le merle moqueur

Une maison de campagne

Noir sympathique

Sifflement

Oiseau familier

Peut réveiller

Un nid dans mon jardin

Mange des vers

Ces réponses nous invitent à formuler plusieurs remarques. Tout d’abord, le corbeau semble un animal plus évocateur que le merle et ce, pour la personne interrogée comme la majorité des personnes.  De plus, au « corbeau » sont surtout associés des sèmes à connotation négative et au « merle » des sèmes à connotation positive.

Plusieurs sèmes dénotatifs peuvent être dégagés : le sème générique {oiseau}, les sèmes spécifiques {cri : croassement, habitués de plaintes, plumage brillant, œil perçant} pour le corbeau et {sifflement, mange des vers, habitué des jardins} pour le merle. Les sèmes connotatifs dérivent généralement  de ces sèmes dénotatifs. Il est évident que la couleur noire associée au cri et au mode de nutrition du corbeau, qui fréquente les mornes plaintes, charge cet animal de négativité. En revanche, la couleur noire du merle associée au sifflement commun à l’être humain (même s’il est susceptible de nous réveiller dès l’aube) et à la naissance (avec les nids que les merlettes ont coutume de faire dans nos jardins) ne peut qu’éveiller la sympathie.

Certains de ces sèmes spécifiques sont à la fois dénotatifs et connotatifs, comme {noir} qui ne désigne pas seulement une couleur, {cri} qui peut marquer la souffrance, voire la peur, {œil perçant} qui signifie aussi bien « voyant de loin » que « perspicace ».

En fait, plus qu’une simple addition de plusieurs sèmes, un signifié est un tissu de sèmes qui s’entremêlent : {la mort} que connote le corbeau vient-elle de la couleur noire de l’animal, de son cri lugubre, de son mode de nutrition ou encore de la ressemblance phonique entre corbillat (petit du corbeau) et corbillard ? La force connotative est telle qu’elle occulte et contredit certains sèmes dénotatifs : on oublie que le corbeau, contrairement à beaucoup d’autres animaux, est solidaire de ses semblables, n’en laisserait pas mourir un en détresse et vit en bande. Trop connoté, trop utilisé, il en devient « un animal méconnu », comme le signale toute personne interrogée.

De plus, la connotation est variable suivant les époques et les pays : que le corbeau soit perçu négativement est purement occidental et relativement récent (au Japon, par exemple, il est symbole d’amour familial).      

Modifié le: Tuesday 18 May 2021, 05:34