Cet extrait est tiré du livre intitulé :
« Le roman algérien de langue française » de Charles Bonn
« Le roman algérien de langue française : survol historique et considérations générales
Il convient donc, tout en dénonçant ce que de telles descriptions peuvent avoir d’artificiel sur une époque aussi courte, de faire ici un bref historique de cette production romanesque. Mais pour respecter à la fois l’aspect unique de l’œuvre en elle-même, et l’attente d’un public dont j’ai déjà dit qu’elle permet seule de parler globalement de ces textes, on se gardera de les réduire, comme une approche « sociologique » le fait trop souvent, au statut de simples documents sur le Maghreb et son Histoire. On cherchera cependant à dégager l’articulation de ces écritures et de leurs lectures. C’est-à-dire qu’on les étudiera dans leur fonctionnement, par rapport à leurs lectures, et par rapport également aux différents discours autres, face auxquels et dans lesquels ils s’inscrivent. C’est pourquoi cet historique sera ordonné, non peut-être pas de stricts critères de chronologie, mais par les différents aspects de l’image sous laquelle les publics maghrébins se représentent leur littérature de langue française, et donc le roman, genre le plus diffusé.
Description ethnographique et guerre d’indépendance
La description ethnographique et celle de la guerre d’indépendance sont les deux aspects sous lesquels le roman national est le plus connu du public algérien. Née vers 1920, la littérature algérienne de langue française s’affirme à partir de 1945, et surtout vers 1950, où elle s’épanouit dans le genre romanesque. Or, Le fils du pauvre, de Mouloud Feraoun (1950), La Grande maison, de Mohammed Dib et La Colline oubliée, de Mouloud Mammeri (1952) sont avant tout des descriptions de la vie traditionnelle. Mais déjà, au-delà de l’exotisme, ces romans montrent l’impact de la colonisation dans des univers qui vont perdre leur unité, qui sont sur le point d’éclater. Chez Feraoun et Dib, la faim est omniprésente. Quant au livre de Mammeri , fine analyse de l’intrusion brutale du temps de la Cité, de l’Histoire, dans l’espace clos et « oublié » d’un village traditionnel kabyle, ne peut-il se résumer dans ce chant mystérieux des mères, premières victimes de cette rupture et garantiesla plus secrète d’un univers désormais détruit qui se répondent de colline en colline lors du départ de leurs fils pour la guerre (de 1939-1945) ?... » (Charles Bonn, Le roman algérien de langue française, Paris, L’Harmattan, 1985)