La littérature au 19 eme Sièecle

1. le romantisme

LE ROMANTISME

 

  1. I.                  Le mot "romantique" et son évolution

1)       A la fin du  XVII° siècle et au XVIII° siècle : Sous l'influence de l'anglais "romantic", romantique avait le sens de "romanesque", qui a le pittoresque et la sentimentalité de certains romans. Influence de la littérature anglaise qui privilégie, comme la littérature allemande, les sentiments et le "moi" : grands poèmes lyriques de Edouard YOUNG (1683-1765), Poèmes d'OSSIAN de l'Ecossais James MACPHERSON  (1760), Percy SHELLEY (1792-1822) et surtout George BYRON (1788-1824) ; romans historiques de l'Ecossais Walter SCOTT (1771-1832), par exemple Ivanhoë en 1819.

"Romantique" se dit de lieux qui rappellent les descriptions inspiratrices d'exaltation et de mélancolie ; puis des œuvres d'art (poèmes, romans, musique ...) qui rappellent des paysages dits "romantiques" et produisent la même impression.

2)       Au début du XIX° siècle (1804), sous l'influence de l'allemand "romantisch", le mot "romantisme" apparaît. Il désigne toutes formes de la littérature et de la pensée nouvelles par opposition aux formes classiques. Influence des écrivains allemands : GOETHE, Werther, roman de 1774 , Faust, drame de 1808 et 1831, ; drames de SCHILLER, Brigands (1781), Guillaume Tell. Idées diffusées par Madame de Staël (premières attaques contre les classiques en 1813) et les aristocrates revenus d'émigration en 1815.

3)       Aujourd'hui, le mot "romantique" sert à désigner :

- Un état d'âme où prédominent la sensibilité et une impossibilité à se contenter d'une sagesse raisonnable, et donc des formes d'art ou des thèmes traités avec cet état d'âme ; (sens péjoratif) qui a les défauts du romantisme : déséquilibre, imagination exaltée, impossibilité de s'adapter à la vie, sentimentalité exagérée, étalage de ses propres sentiments. Ex. : le romantisme d'Emma Bovary.

      - Les principes de l'école littéraire qui s'affirme entre 1820 et 1850.

 

  1. II.                Les principales caractéristiques du mouvement romantique (à nuancer selon les périodes, les pays et les auteurs).

Le terme "romantisme" recouvre des réalités trop contrastées pour se définir en une formule unique. Il y a eu en effet une métamorphose d' un premier romantisme aristocratique de droite en un romantisme social de gauche : d'abord contre-révolutionnaire, réactionnaire, nostalgique du passé face aux Lumières, le romantisme conteste  la Révolution française ; puis vers 1830, au contraire, il dénonce les insuffisances de la Révolution, se porte vers l'avenir et jouxte alors le socialisme, défend la cause du peuple.

 

1)    L'exaltation de l'individu et du sentiment

  1. A.     L'importance du MOI
    a) droit au lyrisme personnel,
    à l'expression de soi ; écriture à la première personne, mais le "moi" romantique est universel, chaque homme reflète l'humanité (V.Hugo, Préface des Contemplations "Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi.").

    b) "mal de vivre" : l'état d'âme commun à tous les artistes romantiques se traduit par une inquiétude profonde qui contraste avec l'optimisme, la confiance en l'avenir qui a été celle du philosophe des Lumières ;  malaise existentiel, "vague des passions", "mal du siècle" dû aux frustrations provoquées par la chute de l'Empire, la Restauration et le sentiment d'une société bloquée (Musset, La Confession d'un enfant du siècle, 1836) :
    - fuite du temps ;
    - insatisfaction née du décalage entre les rêves et la réalité, aspiration à l'infini, mais univers aux bornes étriquées :"L'imagination est riche, abondante et merveilleuse ; l'existence est pauvre, sèche et désenchantée. On habite avec un cœur plein un monde vide, et sans avoir usé de rien on est désabusé de tout." (Chateaubriand, Génie du christianisme) ;
    - souffrance, considérée comme signe de distinction, triste privilège des âmes élevées, étrangères à un monde qui ne les comprend pas ; lassitude, ennui, mélancolie, solitude du Moi, amertume de l'exil ; interrogation sur une identité perturbée (Chateaubriand, René) ;
    - doute religieux, inquiétude métaphysique, recherche de nouvelles certitudes au-delà de la religion révélée.

    c) recherche du bonheur néanmoins : le romantique cherche à l'atteindre par l'amour, un sentiment sanctifié, divinisé ; mais c'est aussi et surtout un sentiment douloureux, car il est le plus souvent contrarié par l'éloignement , la mort, et pis encore par la trahison de l'être aimé.

    d) relation particulière entre l'homme et la nature : engouement nouveau pour la nature, face à une société qui s'industrialise ; l'artiste cherche dans la nature un sens nouveau de la beauté, une sérénité ;
    - en général sauvage, elle est la confidente des plaintes mélancoliques ; on aspire à fusionner avec elle, à s'y
       réfugier ; correspondances entre paysage et état d'âme ; poésie des ruines ...
    - immuable, elle s'oppose au caractère éphémère de l'homme ("Le Lac", Méditations, de Lamartine, 1820).
    - les paysages étranges sont aussi le mode d'accès au fantastique, la révélation d'une inquiétude spirituelle.

B. la primauté de la sensibilité et de l'émotion

a) douceur des sentiments élégiaques, brutalité des passions (Dumas fils, La Dame aux camélias)
On recherche un idéal de sentiments, on croit en la grandeur de l'homme, aux bons sentiments qui exaltent l'âme.

b) réhabilitation de la sensibilité contre l'excès de raison : Déjà à l'époque de J.J.Rousseau (La Nouvelle Héloïse, 1761 ; Les Confessions, 1770), "on était las de la raison trop longtemps prônée, de l'intellectualité qui insistait pour comprendre avant de sentir", dit le critique Henri Peyre. "Ah ! frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie / C'est là qu'est la pitié, la souffrance et l'amour..." (Musset, A mon ami Edouard Bocher, 1832)
 -  On aime ce qui fait sortir l'homme des limites de la raison et de la conscience immédiate du réel ; intérêt pour l'irrationnel, après le siècle des Lumières où semble l'emporter la confiance dans la raison.
-  Cela conduit certains à s'intéresser aux sciences occultes, au monde des rêves ; intérêt pour le mystère, le surnaturel, le fantastique (Gautier, Le Roman de la momie, Mérimée, La Vénus d'Ille, Villiers de l'Isle-Adam, Véra). Les romantiques interrogent l'au-delà, questionnent sans cesse l'invisible : histoires de fantôme, de cimetière, de légende extraordinaire. Au "bourgeois conquérant", qui entend avoir les pieds sur terre, l'artiste romantique répond par le défi insaisissable de l'imaginaire.

c) réveil religieux : goût pour une religion de la sensibilité et du cœur.
- certains romantiques renouent avec l'inspiration religieuse, voyant dans le christianisme une source de poésie et d'émotion (Chateaubriand, Génie du christianisme, 1802)
- religion qui se sépare des religions révélées parce que Dieu se révèle dans la nature (Rousseau, L'Emile, Profession de foi du vicaire savoyard).
Au XVIII° siècle, les Lumières s'étaient attaquées à la foi des ancêtres, avaient contesté les religions révélées, placé la raison au cœur de l'histoire et pensé pouvoir annoncer une nouvelle foi placée dans l'homme ; cette foi nouvelle fut d'emblée contestée, surtout en Allemagne, et le romantisme naquit de cette volonté de restaurer les vieilles croyances qui constituaient la charpente de la société ; cette opposition romantique de droite fut bousculée quand le mouvement s'étendit à toute l'Europe, mais ceux qui refusaient cette orientation à droite furent touchés par l'esprit religieux et on assista à la renaissance d'un spiritualisme, au besoin d'une foi nouvelle que le romantisme semblait incarner.
      D'où les autobiographies, la prédilection pour le genre lyrique, la poésie élégiaque, contrairement au XVIII° siècle.


2) Le rêve, le désir d'évasion, mais aussi l'action et l'engagement :deux attitudes antithétiques

A. Recherche d'un ailleurs
, divertissement à l'ennui et projet pour une énergie inemployée. Le mouvement romantique tend parfois à fuir la réalité, trop décevante, et à se réfugier dans un monde imaginaire.

a) Fuite, exotisme dans le temps.
-  Retour aux sources nationales : goût réactionnaire pour le moyen âge chrétien, le "gothique", les cathédrales, redécouverte d'une époque médiévale pittoresque ; on recrée la réalité, on transforme parfois l'histoire pour recréer des époques qui font rêver le lecteur : poésie du XVI° siècle, romans de cape et d'épée (Dumas, Les trois Mousquetaires; Hugo, ND de Paris) ;
- Légende de Napoléon, figure douloureuse d'un grand destin brisé : nostalgie tragique de l'histoire immédiate.
- Les grands mythes (Prométhée, Faust) fournissent une allégorie des aspirations de l'homme moderne. (Hugo, La Légende des siècles).

b) Fuite, exotisme dans l'espace.
- Intérêt pour les littératures et civilisations étrangères : les littératures du Nord, l'Italie, l'Espagne, l'Orient (ciel, couleurs, moeurs, passions). Une Méditerranée nouvelle s'impose, celle du monde musulman, celle qui se révolte contre le joug ottoman (Jérusalem pour Chateaubriand, l'Egypte pour Nerval, le Maroc pour Delacroix) ; dépaysement et réflexion sur les civilisations disparues. Des événements qui seraient déplacés à l'âge moderne et en Europe deviennent possibles dans le cadre médiéval ou oriental.
- Le romantique est aussi un grand voyageur (Italie, Allemagne, Grèce, Orient, Nouveau Monde) : recherche d'impressions nouvelles.

c) Exotisme du mal, autre moyen d'évasion :
- L'esthétique romantique privilégie volontiers l'anormal, le difforme, l'étrange (Quasimodo, dans Notre-Dame de Paris) ; fantastique et onirisme (ce qui relève du domaine du rêve) ; goût de l'horreur, atmosphère complaisamment morbide (prison, guillotine, bourreau, profanation ...). Ex. : le Frankenstein, de Mary Shelley, trad. en 1821.
- Vertige de la débauche (Musset trahi par sa maîtresse, George Sand). Déchirure entre la chair et l'idéal, homme partagé entre la femme charnelle dangereusement sensuelle et la femme idéale, pure, vierge ou mère (Balzac, Le Lys...)
- Le mal, expression d'une révolte représentée par la figure symbolique de Satan (Méphistophélès, dans Faust,Goethe).
B. Action et engagement ; refus du monde établi ; vitalité qui pousse à agir : pour épouser la cause du peuple, le romantisme se fait moins rêveur.
a) révolte individuelle, volonté de progresser socialement (ex. : Julien Sorel, dans le Rouge et le Noir de Stendhal).

b) mais aussi, à partir de 1825-1830, engagement social, humanitaire et politique (sauf Musset, Gautier et les partisans de l'art pour l'art). Stendhal dans son Racine et Shakespeare glorifie une littérature de l'énergie, de l'engagement et non la littérature doloriste d'une droite sur la défensive. Vigny, Chateaubriand, Hugo font partie des déçus de la droite et rejoignent le combat pour les libertés.
- Le combat en faveur de la liberté des Grecs, qui se soulèvent en 1821 après quatre siècles d'asservissement au sultan turc, fédère le romantisme. Lord Byron meurt aux côtés des insurgés grecs (1824) ;
- Lamartine et Hugo s'engagent dans la lutte politique, dénoncent l'esclavagisme, les injustices et la misère (enquête de Hugo à Lille contre une société qui impose des conditions inhumaines à ses travailleurs);
- Culte de l'énergie puisé dans la figure mythique de Napoléon.
- Les romantiques cherchent à transformer le monde en participant à l'ébauche d'une cité future ; sous l'influence des utopistes et du catholicisme révolutionnaire de Lamennais, ils cherchent à contribuer au bonheur de l'humanité (romans sociaux de George Sand : Le Compagnon du Tour de France, 1840 ; Le Meunier d'Angibault, 1845). Le romantisme tend à vouloir "grandir l'âme" du lecteur. Victor Hugo met en scène des héros au grand cœur, aux vertus extraordinaires (Jean Valjean dans les Misérables) .
- Hugo met en avant la fonction civilisatrice du poète, sa mission prophétique, une mission que le théologien et le philosophe ne peuvent plus assumer ; il fait du poète un "mage" visionnaire capable de conduire les hommes vers la lumière (Les Rayons et les Ombres, 1839). Le poète est penseur, il conjugue la réflexion et l'émotion, explore des voies nouvelles pour le bien de l'humanité, définit une nouvelle échelle de valeurs.

Rem. : La presse et les feuilletons, la lithographie, les expositions et les Salons, ouvrent sur un nouveau public : les œuvres prennent une nouvelle dimension politique ; succès extraordinaire du mélodrame, du roman noir, du roman, feuilleton.

c) Discipline spirituelle : ascèse lyrique, philosophique, mystique tournée vers une sorte d'absolu (Balzac, Le Lys dans la vallée)

 

3) La  liberté de création dans l'art : renouvellement des thèmes d'inspiration et des modes d'expression.
A. Refus des contraintes de l'art classique
(caractérisé par la mesure, l'ordre et la clarté)
a) rejet des limites classiques : règles des trois unités ; respect de la bienséance (Préface de Cromwell) ; meurtres sur scène ...
b) renouvellement des thèmes d'inspiration ; découverte de Shakespeare ; abandon de l'imitation des Anciens, utilisation du merveilleux chrétien
c) liberté dans le choix des formes : odes et ballades remises au goût du jour (Hugo) ; adaptation aux nouveaux élans créatifs (Musset écrit Lorenzaccio en prose ; invention du poème en prose) ; triomphe du roman.
d) abandon des règles rigides de la versification, enjambements, trimètre romantique : "J'ai disloqué ce grand niais d'alexandrin" (Hugo)
e) Recherche du mot exact (au lieu des périphrases), de mots nouveaux conformes à une énergie et à une nature  primitives, refus du style noble, utilisation des termes concrets (et pas seulement abstraits), fin du rejet des mots roturiers. V.Hugo se vante d'avoir "mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire", d'avoir fait la guerre au "mot noble à la longue rapière" et d'avoir déclaré "les mots égaux, libres, majeurs" (Les Contemplations, Réponse à un acte d'accusation). Images hardies ("Tu es mon lion, superbe et généreux"). L'homme du peuple entre en littérature.

B. Recherche du pittoresque et de la couleur locale, "base de toute vérité" (Benjamin Constant), et de la vérité historique.

C. Mélange des genres et des registres. (Hugo, Préface de Cromwell)
- La nature ignore l'opposition entre tragique et comique, entre lyrique et épique. La poésie et le théâtre mêlent l'ombre et la lumière, le grotesque (le rire, la bassesse ou la laideur) et le sublime (noblesse des sentiments, grandeur des situations). Utilisation d'un langage hyperbolique.
- Le drame remplace la tragédie.
 Rem. : Genres nouveaux
- L'histoire : narration vivante où on laisse libre cours à l'imagination et à la subjectivité (Michelet)
- La critique : devient un genre littéraire à part entière (Sainte-Beuve)


(Synthèse effectuée par B.Théry, lycée St-Rémi de Roubaix, à partir des ouvrages suivants :  Francis Démier, L'Europe romantique, Documentation photographique n° 7038, déc. 1996, La documentation française ; Henri Bénac et al., Guide des idées littéraires, Hachette, 1988 ; Marie-Christine Natta, Français-Dicobac, 1. Genres et courants littéraires, Belin, 1992, p. 104 sq. ;  Hélène Sabbah, Littérature Seconde, Textes et séquences, Hatier, 2000, p. 427 ; Denis Labouret et al., Français Seconde, Bordas, 2000, p. 366-7)