La dissertation
Site: | Plateforme pédagogique de l'Université Sétif2 |
Course: | Ecrit_nouri/HALLAL |
Book: | La dissertation |
Printed by: | Visiteur anonyme |
Date: | Friday, 6 June 2025, 8:27 PM |
1. Définition
Disserter, c'est examiner chaque aspect de la thèse, c'est la questionner. Le but de la dissertation est d'identifier le thème et de mettre en lumière le problème qu'il renferme. La dissertation consiste à développer une ou plusieurs notions clés qui répondent à un problème central.
2. Le plan
Suivant le sujet à traiter l’argumentation peut prendre plusieurs orientations ou plan. Le plan d’une dissertation argumentative ne s’affiche pas explicitement comme plan-type (On n’annonce pas : « je vais suivre un plan descriptif ou un plan dialectique »). Les plans-types interviennent au moment de rédaction.
1. Le plan descriptif
Ce plan est recommandé pour traiter les sujets reposant sur une citation longue. Il suffit d’organiser la dissertation en fonction des idées principales de la citation en suivant le même ordre que l’auteur.
2. Le plan dialectique/ antithétique
On reconnait les sujets qui demandent ce genre de plan par leur énoncé, une question directe à laquelle on peut répondre par oui ou non ou bien l’auteur affirme de manière décisive une position.
Un plan antithétique appelle un exercice de réflexion dans laquelle la philosophie du candidat ne doit pas intervenir. Son opinion apparait en deuxième partie.
Le plan dialectique comporte trois parties : thèse, antithèse et synthèse.
La synthèse n’est pas la recherche d’une vérité médiane, mais la mise au jour d’un point de vue nouveau, qui permet de dépasser la contradiction (en apportant, par exemple, une explication de cette contradiction).
3. Le plan analytique/ plan argumentatif (problème, causes, solutions)
les parties ne sont pas opposés mais continues. Ce plan suit une direction argumentative unique, en présentant les arguments dans un ordre gradué, du plus anecdotique au plus convaincant, du plus simple au plus complexe.
4. Plan concessif (admettre les arguments adverses, puis les réfuter)
Ce plan consiste à concéder certains arguments de l’opposition pour ensuite les réfuter en proposant des contre-arguments plus convaincants.
Introduction : Présentation du sujet et formulation de la problématique.
Première partie : Concession – admettre certains arguments valables de l’opposition.
Deuxième partie : Réfutation – démontrer pourquoi ces arguments ne suffisent pas ou sont incorrects.
Troisième partie : Proposition d’arguments contraires et plus solides.
Conclusion : Prise de position finale.
3. Type d’arguments
- Argument logique (ou rationnel)
L’argument logique repose sur la raison et la cohérence. Il s'appuie sur des faits, des preuves, des statistiques, ou des raisonnements déductifs ou inductifs. L'argument se fonde sur des données chiffrées et des faits objectifs.
1.1. Argument inductif
L'argument inductif consiste à partir de cas particuliers pour en tirer une conclusion générale. Il s’appuie sur des observations spécifiques pour généraliser.
- Exemple : "Dans les villes où la vitesse est limitée à 30 km/h, les accidents de la route ont diminué de 20 %. Il est donc prouvé que limiter la vitesse améliore la sécurité routière."
- Caractéristique : Tirer des conclusions générales à partir d’exemples concrets.
1.2. Argument déductif
L’argument déductif fonctionne à l’inverse de l’argument inductif. Il part d’une règle générale ou d’une loi pour arriver à une conclusion particulière.
- Exemple : "Tous les hommes sont mortels. Socrate est un homme. Donc, Socrate est mortel."
- Caractéristique : Utilisation d’un raisonnement logique pour aboutir à une conclusion.
2. Argument d’autorité
Cet argument repose sur l’autorité ou la crédibilité d'une personne ou d'une institution pour soutenir une affirmation. On fait appel à une personne reconnue dans un domaine spécifique.
3. Argument éthique (ou moral)
L'argument éthique fait appel à des valeurs morales ou des principes éthiques généralement acceptés pour soutenir une thèse. Appel à des valeurs universelles (justice, droits de l’homme, bien commun).
4. Argument par l'exemple
Ce type d’argument se base sur des cas concrets, des exemples ou des illustrations pour soutenir un propos. Utilisation d’un cas particulier pour illustrer une idée plus générale.
- Exemple : "En Suède, le congé parental est partagé équitablement entre les deux parents, et cela a permis de renforcer l'égalité homme-femme dans le monde du travail."
5. Argument ad hominem
L'argument ad hominem attaque la personne qui défend une thèse plutôt que la thèse elle-même. Remise en cause de la légitimité ou des motivations de l’adversaire.
6. Argument affectif (ou pathétique)
Cet argument cherche à provoquer une réaction émotionnelle chez l’auditoire. Il peut faire appel à des sentiments comme la compassion, la peur, la joie ou la tristesse. Appel aux émotions pour convaincre l’auditoire.
7. Argument par l’absurde
Cet argument consiste à montrer qu'une thèse est absurde en en tirant des conséquences illogiques ou contradictoires. Il s’agit de pousser une idée à l'extrême pour en révéler les incohérences.
- Exemple : "Si on laissait tout le monde circuler sans permis, ce serait l'anarchie sur les routes et les accidents se multiplieraient. C'est pourquoi un contrôle strict est nécessaire."
- Caractéristique : Démontrer l'illogisme d’une idée en en montrant les conséquences absurdes.
8. Argument de cadrage
L’argument de cadrage consiste à présenter les faits sous un certain angle pour influencer la perception. Il s’agit de mettre en avant certains aspects d’une situation plutôt que d’autres pour orienter l’interprétation.
- Exemple : "Plutôt que de parler de 'réduction du salaire', disons que c’est une 'révision salariale' pour garantir la compétitivité de l’entreprise."
- Caractéristique : Manipuler la présentation d’une information pour orienter l’opinion.
9. Argument par comparaison ou analogie
Cet argument compare deux situations ou concepts pour montrer leur similarité ou leurs différences. Il peut s’appuyer sur des analogies pour expliquer ou justifier une idée.
- Exemple : "Réduire les émissions de CO2, c'est comme soigner une maladie : il faut d'abord identifier le problème, puis appliquer les remèdes adéquats pour enrayer les symptômes."
- Caractéristique : Recours à une analogie pour simplifier ou illustrer une idée.
10. Argument pragmatique
Cet argument met l’accent sur les conséquences pratiques d'une décision ou d'une idée. Il se base sur ce qui est utile, efficace ou réaliste.
- Exemple : "Interdire les véhicules à essence dans les grandes villes améliorerait significativement la qualité de l’air et réduirait les maladies respiratoires."
- Caractéristique : Accent sur les résultats concrets et les effets tangibles.
4. Dissertation comparative
Dans une dissertation comparative, le plan comparatif est une structure qui permet d’organiser l'analyse autour des points communs et des différences entre les objets d’étude (œuvres, concepts, événements, etc.). Ce type de plan est souvent le plus adapté pour montrer de façon claire et détaillée les similarités et divergences sur des aspects précis. Le premier objectif est de comprendre le sujet et de dégager une question centrale, une problématique qui guidera la comparaison. Cette question permet de structurer la dissertation et d'éviter une juxtaposition simple de points de comparaison.
Les méthodes de comparaison
Méthode par bloc : Chaque partie est dédiée à un des objets d'étude, en analysant ses caractéristiques principales. On compare ensuite les deux objets dans une conclusion. Elle est efficace pour les sujets où les deux objets d’étude possèdent des caractéristiques clairement distinctes. Cette méthode requiert donc une conclusion solide pour relier les deux blocs.
Méthode par points communs et différences : On alterne entre les deux objets en fonction de thèmes ou de points de comparaison précis. Cette méthode permet d’établir des parallèles de manière plus directe. Elle est idéale lorsque les éléments d’étude partagent de nombreuses similitudes et différences nuancées. Elle favorise les allers-retours continus, permettant au lecteur de mieux visualiser les comparaisons directes.
Méthode par aspects : Cette méthode aborde plusieurs aspects d’un même thème, chaque aspect étant illustré par des exemples des deux objets étudiés. Elle est particulièrement recommandée dans les cas où les aspects abordés sont complexes et multifactoriels (par exemple, comparer deux systèmes politiques à travers les aspects économiques, sociaux et culturels).
Structure du Plan Comparatif
1. Introduction
- Accroche : Une phrase introductive qui capte l’attention en posant le contexte ou un enjeu en lien avec le sujet.
- Présentation des objets d’étude : Introduisez brièvement les œuvres, concepts ou événements que vous allez comparer.
- Problématique : Posez une question de fond qui exprime le lien entre les deux objets et ce que vous cherchez à démontrer dans la comparaison. Il est essentiel de ne pas se contenter d’une problématique superficielle. La problématique doit s’appuyer sur une interrogation qui suscite la réflexion et va au-delà de la simple comparaison descriptive.
- Annonce du plan : Présentez brièvement les principaux aspects que vous allez aborder pour comparer les deux éléments.
Développement en blocs
Dans cette méthode, chaque bloc est dédié à un objet d’étude. Cela permet d’analyser l'objet en profondeur, de poser ses caractéristiques propres, et de développer des arguments et des exemples avant de passer au second objet.
Bloc 1 : Analyse du premier objet d’étude
Sous-partie A : Analyse de l’aspect 1 (ex. : le thème central, les idées principales, ou les caractéristiques de l’œuvre ou du concept).
Sous-partie B : Analyse de l’aspect 2 (ex. : le style, les techniques, ou les conséquences liées à ce thème).
Sous-partie C : Analyse de l’aspect 3 (ex. : l’impact, la portée symbolique, ou les particularités de l’époque).
Synthèse partielle : Résumez brièvement les idées principales que vous avez présentées pour ce premier objet d’étude.
Bloc 2 : Analyse du second objet d’étude
Sous-partie A : Analyse de l’aspect 1 pour le deuxième objet d’étude (similaire au bloc précédent mais adapté à l’objet en question).
Sous-partie B : Analyse de l’aspect 2.
Sous-partie C : Analyse de l’aspect 3.
Synthèse partielle : Résumez les idées principales développées pour ce deuxième objet d’étude.
En structurant chaque bloc de cette manière, vous montrez les spécificités de chaque objet d’étude avant de procéder à une mise en perspective comparative dans la conclusion.
3. Conclusion
Synthèse des comparaisons : Mettez en lumière les points de convergence et de divergence entre les deux objets d’étude. Cette comparaison est d’autant plus efficace que vous avez traité chaque objet en profondeur dans les blocs précédents.
Limites
Le lien entre les deux objets d’étude peut paraître moins fluide, car la comparaison directe est laissée à la conclusion.
Peut donner l’impression d’un manque d’interaction entre les deux objets d’étude pendant le développement, surtout si la conclusion n'est pas bien développée.
Développement (organisation par points communs et différences)
Le développement est ici organisé en deux grandes parties. La première se consacre aux points communs (ce qui rapproche les deux objets d’étude) et la seconde aux différences (ce qui les distingue). Chaque sous-partie traite un aspect ou un thème spécifique, ce qui permet d’analyser la façon dont ce thème est traité par chacun des objets d’étude.
Exemple d’organisation de chaque partie :
Partie I : Les points communs entre les deux objets d’étude
Aspect commun 1 : Analysez comment cet aspect est présent dans les deux objets (ex. : un thème, une idée, une vision partagée).
Aspect commun 2 : Développez un autre point qui rapproche les deux objets d’étude, en illustrant avec des exemples.
Aspect commun 3 : Éventuellement, poursuivez avec un autre aspect si le sujet s’y prête.
Transition : Montrez en quoi ces points communs préparent le terrain pour comprendre les différences qui suivent.
Partie II : Les différences entre les deux objets d’étude
Aspect différenciant 1 : Analysez en quoi les deux objets divergent sur cet aspect (ex. : leur traitement d’un même thème, leurs finalités, leur perspective).
Aspect différenciant 2 : Poursuivez avec un autre aspect qui distingue les deux objets d’étude, en illustrant cette fois les différences.
Aspect différenciant 3 : Développez un autre point de divergence, le cas échéant.
Synthèse : Résumez brièvement en montrant que, malgré leurs similarités, les objets d’étude divergent sur des points clés qui influencent leur interprétation.
3. Conclusion
Synthèse des points communs et différences : Rappelez les éléments qui rapprochent et opposent les deux objets d’étude.
Réponse à la problématique : Proposez une réponse synthétique à la problématique posée en tenant compte des analyses développées.
Ouverture : Introduisez une réflexion supplémentaire, en élargissant éventuellement sur d’autres comparaisons possibles ou sur les implications contemporaines des thématiques abordées
Développement (méthode par aspects)
- Le développement dans un plan comparatif est généralement structuré en fonction des aspects ou thématiques de comparaison. Cela permet d’aborder chaque point en passant d’un objet d’étude à l’autre.
Exemple d’organisation de chaque partie :
- Partie I : Aspect 1 (Thème commun)
- Sous-partie A : Analyse de l’aspect 1 pour le premier objet d’étude.
- Sous-partie B : Analyse de l’aspect 1 pour le deuxième objet d’étude.
- Transition : Mettre en évidence les similarités et différences.
- Partie II : Aspect 2 (Thème commun)
- Sous-partie A : Analyse de l’aspect 2 pour le premier objet d’étude.
- Sous-partie B : Analyse de l’aspect 2 pour le deuxième objet d’étude.
- Transition : Comparaison et contrastes entre les deux objets.
- Partie III : Aspect 3 (Thème commun)
- Sous-partie A : Analyse de l’aspect 3 pour le premier objet d’étude.
- Sous-partie B : Analyse de l’aspect 3 pour le deuxième objet d’étude.
- Transition : Comparaison finale et mise en perspective.
Ce type de structure permet une analyse détaillée et organisée de chaque aspect avant de faire un lien entre les deux objets d’étude, assurant une cohérence et une fluidité dans la comparaison.
3. Conclusion
- Synthèse : Résumez les points principaux de la comparaison en mettant en évidence les principales similitudes et différences.
- Réponse à la problématique : Reformulez votre réponse à la problématique à la lumière des analyses développées.
- Ouverture : Proposez une réflexion supplémentaire, par exemple, sur l'impact de cette comparaison dans un autre domaine ou sur des perspectives plus larges.
5. La dissertation littéraire
SUJETS GÉNÉRAUX, SUJETS SPÉCIFIQUES
Une première opposition sépare ces deux types de dissertation : les essais littéraires portent sur une question générale, sur un thème, une école ou un genre, une notion ou une question esthétique générale susceptible d’être diversement illustrée ; tandis que les sujets plus précis visent à vérifier la connaissance d’un auteur ou d’un texte particulier qui constituera toujours le point de départ et d’arrivée de la réflexion.
Ex : En quel sens le réalisme littéraire peut-il se réclamer de la réalité ?
Ex : Balzac est-il un auteur réaliste ?
LE SUJET-DÉFINITION
Le sujet-définition est apparemment le plus simple ; un mot, une expression, un court syntagme, une question, nous demandent d’examiner une seule notion, un genre, un thème dans sa richesse et ses ambiguïtés.
Ex : Le temps chez Proust. Les pouvoirs de la poésie. Qu’est-ce qu’un roman populaire ?
LES SUJETS DOUBLES
Un autre type de sujet propose des questions ou des citations très courtes : elles vont mettre en cause deux notions (et non plus une seule) qu’il faudra bien sûr rapprocher, opposer, faire dialoguer en un jeu productif.
Ex : Les œuvres théâtrales appartiennent-elles à la littérature ?
LA COURTE CITATION
On trouvera dans ce type de sujets aussi bien des citations accompagnées d’un nom d’auteur que d’autres qui peuvent rester anonymes. Dans ce dernier cas, le but du « donneur de sujet » est de ne pas focaliser l’attention sur un nom, une référence culturelle, mais sur une idée ou une pensée.
Ex : « La vraie lecture commence quand on ne lit plus seulement pour se distraire et se fuir, mais pour se trouver. » (J. Guéhenno).
LA CITATION LONGUE
En illustrant votre développement d’exemples précis et variés, vous analyserez et vous discuterez cette affirmation de l’écrivain allemand Heinrich Böll, prix Nobel de littérature :
« Un roman, c’est d’abord une œuvre qui détient un élément si possible captivant, distrayant et son auteur est, jusqu’à un certain degré, un séducteur. Grâce au style, au langage, au rythme, à la construction qui sont les siens, l’écrivain invite le lecteur à accepter d’être pris au piège, de souscrire à son dessein. »
Heinrich BÖLL, Une mémoire allemande, 1978.
Le plan
L’usage académique préfère trois parties dans la mesure où il semble que, par rapport aux plans en deux parties, les plans qui en comportent trois évitent justement les oppositions simplistes, appellent presque un progrès, un développement harmonieux et abouti. D’un autre côté, aller au-delà des trois parties peut disperser l’attention ou retomber dans le cadre pair des deux parties dédoublées
LES FONCTIONS DES TROIS PARTIES :
DÉFINIR, DISCUTER, DÉPASSER
La première partie est évidemment le fondement du devoir et elle doit donc présenter les notions de base et les enjeux principaux, montrer les conditions de possibilité du sujet, et non pas le réfuter d’emblée. Les enjeux apparaîtront par exemple dans l’examen, l’explicitation et la justification d’un jugement, dans la définition aussi d’une notion qui pourra alors être présentée dans son origine et son extension.
La deuxième partie va en effet discuter ces termes du débat qui auront été posés dans la première. Il s’agit alors d’interroger les affirmations du début, de les mettre en cause ou de les critiquer franchement, peut-être de les élargir ou de les restreindre ; on peut peser le contre après avoir pesé le pour dans la première partie, on peut renverser les termes d’un premier débat, chercher les causes de ce qu’on aura constaté, ou encore les présupposés sur lesquels s’appuie une affirmation. Tout cela ressemble bien sûr beaucoup à l’antithèse des plans classiques, mais on peut éviter le pur jeu formaliste et produire un véritable progrès dans la démonstration.
• La troisième partie, elle, dépasse le sujet en ce sens que, tout en se situant dans la droite ligne de ce qui précède, elle déplace l’interrogation vers un terrain plus large, vers des considérations plus subtiles ou complexes, intègre la question posée dans une problématique plus large qui nécessite l’intervention d’autres éléments.
Exercice
Commentez cette citation « Il faut reconnaître en la littérature le pouvoir qu’elle a de déranger, d’inquiéter et d’éveiller. » André MALRAUX
Réponse type
La littérature, loin d’être une simple échappatoire ou un divertissement, joue un rôle essentiel dans notre compréhension du monde et de nous-mêmes. Elle possède un pouvoir unique : celui de bouleverser nos certitudes, de questionner l’ordre établi et d’éclairer les zones d’ombre de l’expérience humaine. Derrière les mots, les récits et les métaphores, elle dérange, inquiète, mais aussi éveille. Ce triptyque – déranger, inquiéter, éveiller – constitue l’essence même de la littérature. Il s’agit d’un moyen de transformer l’individu et, parfois, la société. Nous interrogerons ici comment la littérature, à travers ces trois dimensions, parvient à toucher les lecteurs, et pourquoi ce pouvoir est à la fois nécessaire et vital.
La littérature dérange parce qu’elle met en lumière des vérités inconfortables et invite à repenser ce qui semblait acquis. À travers ses œuvres, elle interroge les normes sociales, politiques et morales. Dès l’Antiquité, des œuvres comme Œdipe Roi de Sophocle ou Les Bacchantes d’Euripide remettaient en question les notions de destin, de libre arbitre et d’ordre divin, provoquant chez les spectateurs grecs une profonde remise en question. De même, au XXᵉ siècle, des écrivains comme Albert Camus avec L’Étranger ou Franz Kafka avec Le Procès dérangent en exposant l’absurdité de l’existence humaine et l’arbitraire des institutions. Ces œuvres confrontent le lecteur à des situations déstabilisantes où ses repères habituels se dissolvent. En outre, la littérature peut déranger politiquement. Des écrivains engagés, tels qu’Émile Zola avec J’accuse...! ou George Orwell avec 1984, dénoncent les injustices sociales ou les dérives totalitaires, incitant leurs lecteurs à remettre en question les systèmes dans lesquels ils évoluent. En cela, la littérature ne se contente pas de raconter : elle bouscule et provoque des réactions.
L’inquiétude que suscite la littérature provient de sa capacité à explorer les failles de l’âme humaine, à plonger dans les profondeurs de la condition humaine et à révéler ce que l’on préfère souvent ignorer. Les romans de Dostoïevski, comme Crime et Châtiment, mettent en scène des personnages tourmentés par leurs propres contradictions. Raskolnikov, par exemple, incarne les dilemmes moraux et les conséquences psychologiques d’un acte transgressif. Ce type de littérature inquiète parce qu’il met le lecteur face à ses propres interrogations éthiques.
Par ailleurs, les récits fantastiques ou de science-fiction inquiètent en explorant l’inconnu. Le Horla de Maupassant ou Frankenstein de Mary Shelley questionnent les limites de la raison et les peurs humaines face à des forces invisibles ou incontrôlables. Cette inquiétude permet au lecteur de s’interroger sur ses propres limites, sur les peurs enfouies, mais aussi sur les défis que l’humanité peut rencontrer. Enfin, la littérature inquiète parce qu’elle met en scène des conflits existentiels universels : la peur de la mort, l’angoisse de la solitude, la quête de sens. Des auteurs contemporains, comme Annie Ernaux ou Marguerite Duras, dépeignent des récits profondément introspectifs, qui ébranlent le lecteur par leur vérité brute.
Si la littérature dérange et inquiète, c’est avant tout pour éveiller. Elle invite à voir au-delà des apparences, à élargir notre horizon de pensée et à développer une conscience critique. Les récits utopiques ou dystopiques, par exemple, éveillent en projetant des visions alternatives du monde. La Ferme des animaux de George Orwell ou Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley permettent de réfléchir à la société contemporaine en imaginant des futurs possibles. Ces récits éveillent des questions sur le pouvoir, la liberté et les dangers du progrès technologique. La littérature peut également éveiller par la richesse de ses formes et de son langage. La poésie, par exemple, ouvre des portes vers des expériences sensibles et spirituelles. Les poèmes de Rimbaud ou de Baudelaire, à travers leur musicalité et leurs images, éveillent des émotions profondes et parfois inédites. Enfin, la littérature éveille en suscitant l’empathie. Lire une œuvre, c’est souvent entrer dans la peau d’un autre, voir le monde à travers ses yeux. Des romans comme Les Misérables de Victor Hugo ou Beloved de Toni Morrison éveillent une conscience sociale et humaine en exposant les souffrances et les luttes des marginalisés.
La littérature, en dérangeant, inquiétant et éveillant, prouve qu’elle est bien plus qu’un simple objet de consommation culturelle. Elle est un espace de réflexion, de transformation et de dialogue, où le lecteur est invité à remettre en question ses certitudes, à affronter ses peurs et à ouvrir son esprit à de nouvelles perspectives. Il est donc impératif de reconnaître et de valoriser ce pouvoir de la littérature, qui, par son intensité et sa profondeur, continue de jouer un rôle central dans notre compréhension du monde et de nous-mêmes. En fin de compte, la littérature est une force vive, capable d’ébranler les fondements de nos existences pour mieux nous éveiller à notre humanité commune. Ne serait-ce pas justement dans ce pouvoir de bousculer et de transformer les consciences que réside l’un des plus grands espoirs pour l’avenir
5.1. Exercice
« L’art est une activité sociale ; l’œuvre esthétique ne s’isole pas d’un environnement religieux, politique, culturel, économique, voire technique, bref d’un ensemble d’institutions, de mentalités, d’idéologies, de savoirs, d’attitudes proprement sociaux : voilà l’évidence, ou le postulat, qui inaugure toute réflexion sur les rapports entre la littérature et la société. La foi féodale, abrupte, conquérante, de la chanson de geste ne se comprend que dans un univers brutalement scindé entre païens et chrétiens, structuré par des relations personnelles entre suzerain et vassal, et par une division en trois ordres traditionnels (les prêtres, les combattants, les producteurs) ; d’autres espèces du sentiment religieux se comprennent dans des milieux différents : la piété plus inquiète d’un Enée plongé dans un monde où le sacré se diffuse et où les sens s’estompent parfois ; le dolorisme de certains auteurs catholiques modernes (de Léon Bloy à François Mauriac) qui voient les anciennes certitudes assiégées par le doute, humiliées par l’hédonisme laïque, et le peuple chrétien séduit par l’abondance clinquante des biens matériels. Que l’artiste s’intègre harmonieusement à une civilisation ou s’y oppose (en un conflit larvé ou violent), il témoigne des épanouissements, des répressions, des règles ou des coutumes qui caractérisent une société. Mais l’œuvre d’art est un monde en soi, cosmos ou monade, avec son langage, ses normes, ses images ; les signes qui la composent obéissent à leur propre logique, autotélique ou autocentrée, loin de copier servilement, voire de photographier, une réalité sociale ».
Madelénat, Daniel. « Littérature et société ». Précis de littérature comparée, Presses Universitaires de France, 1989.
Discutez cette affirmation.
Réponse type
La littérature, en tant que produit de l’esprit humain, se déploie dans un contexte social, politique, et culturel qui imprègne son essence même. À travers cette citation de Daniel Madelénat, une réflexion s’ouvre sur les rapports intrinsèques entre l’œuvre littéraire et la société qui la façonne. Loin d’être un objet détaché de son environnement, l’œuvre d’art se nourrit de son époque tout en la dépassant, devenant ainsi à la fois un témoignage des mentalités dominantes et une entité autonome avec ses propres logiques et significations. Mais quel est véritablement le rôle de la littérature dans son interaction avec la société ? Et jusqu’à quel point peut-elle se concevoir comme un miroir de celle-ci sans perdre son autonomie esthétique ? Ces interrogations fondamentales conduisent à examiner d’abord l’influence directe de la société sur la littérature, puis le dépassement de cette influence par l’autonomie de l’œuvre, pour enfin réfléchir à la tension fertile entre engagement social et recherche esthétique.
La littérature, selon Madelénat, s’inscrit dans un cadre social dont elle témoigne directement ou indirectement. En effet, chaque œuvre est profondément enracinée dans son époque, qu’elle en épouse les valeurs ou qu’elle s’y oppose. D’abord, certaines œuvres peuvent être vues comme des miroirs des structures sociales, économiques, et politiques de leur temps. Les chansons de geste, comme le suggère Madelénat, sont indissociables de l’organisation féodale, où la hiérarchie et la foi chrétienne structuraient l’existence. La Chanson de Roland, par exemple, magnifie les valeurs de loyauté et de bravoure propres à une société médiévale divisée en trois ordres. De la même manière, au XIXe siècle, les romans réalistes d’un Balzac ou d’un Zola mettent en lumière les transformations sociales et économiques induites par la montée de la bourgeoisie et la révolution industrielle. Ces œuvres, loin d’être de simples fictions, deviennent des archives littéraires des mentalités et des tensions sociales de leur époque. Cependant, la littérature peut également offrir un regard critique sur la société. En exposant ses contradictions ou ses injustices, elle devient une force de contestation et de changement. Les œuvres de Victor Hugo, comme Les Misérables, dénoncent les inégalités sociales et plaident pour une société plus juste, tout en inscrivant leur récit dans les bouleversements historiques de la France postrévolutionnaire. Ainsi, qu’elle s’intègre ou qu’elle s’oppose, la littérature demeure intimement liée à son environnement.
Toutefois, si la littérature témoigne de son époque, elle ne se réduit pas à une simple reproduction de la réalité sociale. Madelénat souligne qu’une œuvre est « un monde en soi », avec un langage et une logique propres. Cette autonomie esthétique permet à la littérature de dépasser le contexte qui l’a vu naître et d’explorer des problématiques universelles.
En effet, une œuvre littéraire ne se limite pas à la description ou à la critique de son environnement : elle propose une vision, une réinvention du monde par le prisme de l’imaginaire. Par exemple, le théâtre absurde de Samuel Beckett ou d’Eugène Ionesco dépasse les cadres historiques immédiats pour interroger des thèmes existentiels et métaphysiques. Si ces œuvres trouvent un écho dans la société d’après-guerre, elles s’affranchissent des contingences pour proposer une réflexion intemporelle sur la condition humaine et l’absurdité de l’existence.
De plus, le langage littéraire, par sa richesse et sa densité, permet à l’œuvre de s’émanciper de son rôle social. Par ses métaphores, ses symboles et ses jeux stylistiques, la littérature crée un espace autonome où les significations circulent librement. En ce sens, elle ne copie pas la réalité, mais en propose une interprétation nouvelle et polysémique. Le poème « Les Fleurs du Mal » de Baudelaire, par exemple, transcende la modernité de son époque pour exprimer une tension entre spleen et idéal, dans une langue dense et symbolique qui confère à l’œuvre une portée universelle.
Cette double nature de la littérature – ancrée dans la société et dotée d’une autonomie propre – crée une tension féconde, à travers laquelle elle peut éveiller les consciences tout en explorant la complexité du langage et des formes artistiques. Cette tension est particulièrement visible dans les œuvres qui se situent à la frontière entre engagement et innovation esthétique.
Les écrivains engagés, comme Jean-Paul Sartre ou Albert Camus, ont cherché à concilier ces deux dimensions. Dans Les Mains sales, Sartre explore les dilemmes moraux et politiques du militantisme, tout en utilisant le théâtre comme espace d’interrogation et de réflexion. De même, Camus, dans L’Homme révolté, relie son analyse philosophique à une réflexion sur la responsabilité de l’artiste face à la société. Ces œuvres montrent que la littérature peut être à la fois un acte de création esthétique et un moyen d’interroger les fondements de la société. Par ailleurs, cette tension entre société et autonomie trouve aussi son expression dans les œuvres postmodernes, qui jouent avec l’intertextualité et les références culturelles pour questionner les discours dominants. Les romans de Milan Kundera, par exemple, mêlent réflexion historique, politique et existentielle dans une structure narrative complexe, créant ainsi des œuvres à la fois ancrées dans leur époque et universelles par leur portée.
Ainsi, la littérature, selon les mots de Madelénat, est indéniablement une « activité sociale » qui ne peut se dissocier de son environnement religieux, politique, et culturel. Qu’elle reflète les structures de son époque ou qu’elle s’y oppose, elle témoigne des mentalités et des idéologies qui la façonnent. Toutefois, elle ne se réduit pas à cette fonction sociale : en tant que « monde en soi », l’œuvre littéraire s’affranchit des contraintes de la réalité pour devenir un espace autonome, où le langage, les formes, et les significations s’épanouissent librement. Finalement, c’est cette tension entre engagement social et recherche esthétique qui fait de la littérature un art unique et indispensable. Elle interroge le passé, éclaire le présent, et ouvre des horizons pour l’avenir, démontrant ainsi que la littérature est bien plus qu’un simple témoignage : elle est une expérience humaine totale, à la croisée des chemins entre l’histoire et l’imaginaire. Si la littérature est profondément liée à son contexte social et culturel, elle s'inscrit également dans une tradition artistique plus large, où les œuvres d'autres disciplines, comme la peinture, le cinéma ou la musique, témoignent elles aussi des mentalités de leur époque tout en affirmant leur autonomie esthétique. Par exemple, les tableaux de Pablo Picasso, tels que Guernica, capturent l'horreur de la guerre tout en proposant une vision profondément personnelle et universelle, démontrant que l'art, quelle qu’en soit la forme, dialogue sans cesse avec la société tout en transcendant ses limites. Cette comparaison invite à réfléchir sur les connexions entre les différentes formes d’art et leur rôle dans la construction de notre compréhension collective de l’histoire et de l’humanité.