La dissertation

5. La dissertation littéraire

SUJETS GÉNÉRAUX, SUJETS SPÉCIFIQUES

Une première opposition sépare ces deux types de dissertation : les essais littéraires portent sur une question générale, sur un thème, une école ou un genre, une notion ou une question esthétique générale susceptible d’être diversement illustrée ; tandis que les sujets plus précis visent à vérifier la connaissance d’un auteur ou d’un texte particulier qui constituera toujours le point de départ et d’arrivée de la réflexion.

Ex : En quel sens le réalisme littéraire peut-il se réclamer de la réalité ?

Ex : Balzac est-il un auteur réaliste ?

LE SUJET-DÉFINITION

Le sujet-définition est apparemment le plus simple ; un mot, une expression, un court syntagme, une question, nous demandent d’examiner une seule notion, un genre, un thème dans sa richesse et ses ambiguïtés.

Ex : Le temps chez Proust. Les pouvoirs de la poésie. Qu’est-ce qu’un roman populaire ?

LES SUJETS DOUBLES

Un autre type de sujet propose des questions ou des citations très courtes : elles vont mettre en cause deux notions (et non plus une seule) qu’il faudra bien sûr rapprocher, opposer, faire dialoguer en un jeu productif.

Ex : Les œuvres théâtrales appartiennent-elles à la littérature ?

LA COURTE CITATION

On trouvera dans ce type de sujets aussi bien des citations accompagnées d’un nom d’auteur que d’autres qui peuvent rester anonymes. Dans ce dernier cas, le but du « donneur de sujet » est de ne pas focaliser l’attention sur un nom, une référence culturelle, mais sur une idée ou une pensée.

Ex : « La vraie lecture commence quand on ne lit plus seulement pour se distraire et se fuir, mais pour se trouver. » (J. Guéhenno).

LA CITATION LONGUE

En illustrant votre développement d’exemples précis et variés, vous analyserez et vous discuterez cette affirmation de l’écrivain allemand Heinrich Böll, prix Nobel de littérature :

« Un roman, c’est d’abord une œuvre qui détient un élément si possible captivant, distrayant et son auteur est, jusqu’à un certain degré, un séducteur. Grâce au style, au langage, au rythme, à la construction qui sont les siens, l’écrivain invite le lecteur à accepter d’être pris au piège, de souscrire à son dessein. »

Heinrich BÖLL, Une mémoire allemande, 1978.

Le plan

L’usage académique préfère trois parties dans la mesure où il semble que, par rapport aux plans en deux parties, les plans qui en comportent trois évitent justement les oppositions simplistes, appellent presque un progrès, un développement harmonieux et abouti. D’un autre côté, aller au-delà des trois parties peut disperser l’attention ou retomber dans le cadre pair des deux parties dédoublées

LES FONCTIONS DES TROIS PARTIES :

DÉFINIR, DISCUTER, DÉPASSER

La première partie est évidemment le fondement du devoir et elle doit donc présenter les notions de base et les enjeux principaux, montrer les conditions de possibilité du sujet, et non pas le réfuter d’emblée. Les enjeux apparaîtront par exemple dans l’examen, l’explicitation et la justification d’un jugement, dans la définition aussi d’une notion qui pourra alors être présentée dans son origine et son extension.

La deuxième partie va en effet discuter ces termes du débat qui auront été posés dans la première. Il s’agit alors d’interroger les affirmations du début, de les mettre en cause ou de les critiquer franchement, peut-être de les élargir ou de les restreindre ; on peut peser le contre après avoir pesé le pour dans la première partie, on peut renverser les termes d’un premier débat, chercher les causes de ce qu’on aura constaté, ou encore les présupposés sur lesquels s’appuie une affirmation. Tout cela ressemble bien sûr beaucoup à l’antithèse des plans classiques, mais on peut éviter le pur jeu formaliste et produire un véritable progrès dans la démonstration.

• La troisième partie, elle, dépasse le sujet en ce sens que, tout en se situant dans la droite ligne de ce qui précède, elle déplace l’interrogation vers un terrain plus large, vers des considérations plus subtiles ou complexes, intègre la question posée dans une problématique plus large qui nécessite l’intervention d’autres éléments.

Exercice

Commentez cette citation « Il faut reconnaître en la littérature le pouvoir qu’elle a de déranger, d’inquiéter et d’éveiller. » André MALRAUX

Réponse type

La littérature, loin d’être une simple échappatoire ou un divertissement, joue un rôle essentiel dans notre compréhension du monde et de nous-mêmes. Elle possède un pouvoir unique : celui de bouleverser nos certitudes, de questionner l’ordre établi et d’éclairer les zones d’ombre de l’expérience humaine. Derrière les mots, les récits et les métaphores, elle dérange, inquiète, mais aussi éveille. Ce triptyque – déranger, inquiéter, éveiller – constitue l’essence même de la littérature. Il s’agit d’un moyen de transformer l’individu et, parfois, la société. Nous interrogerons ici comment la littérature, à travers ces trois dimensions, parvient à toucher les lecteurs, et pourquoi ce pouvoir est à la fois nécessaire et vital.

 

La littérature dérange parce qu’elle met en lumière des vérités inconfortables et invite à repenser ce qui semblait acquis. À travers ses œuvres, elle interroge les normes sociales, politiques et morales. Dès l’Antiquité, des œuvres comme Œdipe Roi de Sophocle ou Les Bacchantes d’Euripide remettaient en question les notions de destin, de libre arbitre et d’ordre divin, provoquant chez les spectateurs grecs une profonde remise en question. De même, au XXᵉ siècle, des écrivains comme Albert Camus avec L’Étranger ou Franz Kafka avec Le Procès dérangent en exposant l’absurdité de l’existence humaine et l’arbitraire des institutions. Ces œuvres confrontent le lecteur à des situations déstabilisantes où ses repères habituels se dissolvent. En outre, la littérature peut déranger politiquement. Des écrivains engagés, tels qu’Émile Zola avec J’accuse...! ou George Orwell avec 1984, dénoncent les injustices sociales ou les dérives totalitaires, incitant leurs lecteurs à remettre en question les systèmes dans lesquels ils évoluent. En cela, la littérature ne se contente pas de raconter : elle bouscule et provoque des réactions.

L’inquiétude que suscite la littérature provient de sa capacité à explorer les failles de l’âme humaine, à plonger dans les profondeurs de la condition humaine et à révéler ce que l’on préfère souvent ignorer. Les romans de Dostoïevski, comme Crime et Châtiment, mettent en scène des personnages tourmentés par leurs propres contradictions. Raskolnikov, par exemple, incarne les dilemmes moraux et les conséquences psychologiques d’un acte transgressif. Ce type de littérature inquiète parce qu’il met le lecteur face à ses propres interrogations éthiques.

 Par ailleurs, les récits fantastiques ou de science-fiction inquiètent en explorant l’inconnu. Le Horla de Maupassant ou Frankenstein de Mary Shelley questionnent les limites de la raison et les peurs humaines face à des forces invisibles ou incontrôlables. Cette inquiétude permet au lecteur de s’interroger sur ses propres limites, sur les peurs enfouies, mais aussi sur les défis que l’humanité peut rencontrer. Enfin, la littérature inquiète parce qu’elle met en scène des conflits existentiels universels : la peur de la mort, l’angoisse de la solitude, la quête de sens. Des auteurs contemporains, comme Annie Ernaux ou Marguerite Duras, dépeignent des récits profondément introspectifs, qui ébranlent le lecteur par leur vérité brute.

Si la littérature dérange et inquiète, c’est avant tout pour éveiller. Elle invite à voir au-delà des apparences, à élargir notre horizon de pensée et à développer une conscience critique. Les récits utopiques ou dystopiques, par exemple, éveillent en projetant des visions alternatives du monde. La Ferme des animaux de George Orwell ou Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley permettent de réfléchir à la société contemporaine en imaginant des futurs possibles. Ces récits éveillent des questions sur le pouvoir, la liberté et les dangers du progrès technologique. La littérature peut également éveiller par la richesse de ses formes et de son langage. La poésie, par exemple, ouvre des portes vers des expériences sensibles et spirituelles. Les poèmes de Rimbaud ou de Baudelaire, à travers leur musicalité et leurs images, éveillent des émotions profondes et parfois inédites. Enfin, la littérature éveille en suscitant l’empathie. Lire une œuvre, c’est souvent entrer dans la peau d’un autre, voir le monde à travers ses yeux. Des romans comme Les Misérables de Victor Hugo ou Beloved de Toni Morrison éveillent une conscience sociale et humaine en exposant les souffrances et les luttes des marginalisés.

 

La littérature, en dérangeant, inquiétant et éveillant, prouve qu’elle est bien plus qu’un simple objet de consommation culturelle. Elle est un espace de réflexion, de transformation et de dialogue, où le lecteur est invité à remettre en question ses certitudes, à affronter ses peurs et à ouvrir son esprit à de nouvelles perspectives. Il est donc impératif de reconnaître et de valoriser ce pouvoir de la littérature, qui, par son intensité et sa profondeur, continue de jouer un rôle central dans notre compréhension du monde et de nous-mêmes. En fin de compte, la littérature est une force vive, capable d’ébranler les fondements de nos existences pour mieux nous éveiller à notre humanité commune. Ne serait-ce pas justement dans ce pouvoir de bousculer et de transformer les consciences que réside l’un des plus grands espoirs pour l’avenir